Aujourd’hui, nous faisons le compte de nos réussites de l’année et le compte de nos erreurs.
Nous classons chaque acte, nous le plaçons sur le plateau d’une balance.
L’un des plateaux est celui de la vie, l’autre plateau est celui du malheur.
Cet acte s’inscrit-il du côté du bien ou du côté du mal ? Et celui-ci ?
Si à la fin de ces journées de Roch hachana, la balance penche vers le bien, nous serons inscrits dans le livre de la vie et de la justice. Si la balance penche du côté du mal, nous serons inscrits dans le livre de la mort.
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Est-ce aussi simple ?
J’examine mes actions et je m’interroge. Je prends pour exemple un incident récent et je me questionne. Se range-t-il sur le plateau du bien et de la vie ? Se range-t-il sur le plateau de la tristesse et du malheur ?
Je me sens comme un vase brisé. Un vase qui contenait toute la lumière et l’espoir de faire le bien, et je suis maintenant dans la confusion. Quelle est cette fêlure qui laisse échapper ma lumière ?
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Et cela me rappelle cette histoire, que m’a racontée mon amie Myriam. Myriam travaille avec des femmes victimes de violences conjugales, et aussi avec des auteurs de violences.
C’est l’histoire d’un porteur d’eau, qui porte sur ses épaules de l’eau pour désaltérer toute sa famille. Un grand bâton posé sur ses épaules retient deux vases, l’un à gauche, l’autre à droite, et chaque jour le porteur d’eau va jusqu’à la rivière, remplit ses vases, ramène l’eau chez lui.
La veille de roch hachana, l’un des vases, celui de droite, décide de partager sa peine avec le porteur d’eau. Le vase engage le dialogue et lui explique qu’il est conscient de son imperfection, il est fêlé et laisse échapper une partie de l’eau précieuse. Une partie des efforts de l’homme semble perdue par sa faute. Quel dommage, que toute cette eau perdue à cause de lui. En cette veille de Roch Hachana, le vase est attristé de poser son imperfection comme une faute dans le plateau de ses erreurs de l’année.
Le porteur d’eau remercie le vase de son souci de bien faire, de sa conscience des enjeux, de son altruisme, et l’invite à observer plus attentivement le chemin de la rivière à la maison.
Le matin suivant, en revenant de la rivière, le vase droit découvre que le bord droit du chemin est couvert de fleurs.
Avez-vous deviné pourquoi ?
Maintenant que le vase brisé comprend les conséquences positives de son imperfection, où va-t-il placer la fuite d’eau ? Cet acte se range-t-il sur le plateau du bien et de la vie ? Se range-t-il sur le plateau de la tristesse et du malheur ?
Comme le vase brisé, nous sommes soucieux des enjeux, nous voulons bien faire, nous aimerions être parfaits. Et nous sommes pétris de croyances : la perfection consiste à ne laisser échapper aucune des gouttes d’eau dont nous avons la charge. A travers cette croyance, c’est notre volonté de bien faire, mais aussi notre ego et notre orgueil qui parlent.
Nous avons beaucoup de croyances et certaines ne nous aident pas.
Lorsque nous nous désespérons d’être des vases fêlés, nous n’avons plus le courage d’ouvrir les yeux pour voir plus loin, pour nous permettre de rêver aux conséquences positives possibles.
Le « gam zou létova » nous échappe.
Nous ne voyons qu’un aspect de la réalité : l’eau qui s’enfuit du vase, s’écoule, elle ne sera pas bue par l’homme. Nous ignorons l’autre aspect : l’eau qui s’enfuit du vase, arrose, elle nourrit la beauté de la nature. Le vase fermé est-il imbu de sa perfection ? Le vase brisé sombre-t-il dans le désespoir ?
Paul Tillich disait qu’il lui semblait que son rôle était de permettre à ceux qui croient de douter et à ceux qui doutent de croire.
Le Talmud nous demande d’avoir dans nos poches deux papiers.
Dans la poche gauche, le verset « je ne suis que cendre et poussière » dans la poche droite la parole « le monde entier a été créé pour moi ».
L’idée est de trouver notre équilibre, de nous inciter à l’humilité lorsque nous sommes remplis d’un sentiment de perfection et de nous encourager lorsque le doute nous envahit.
Nous sommes à la fois des vases brisés et des vases fermés.
Parfois nous sommes le vase brisé qui se désespère parfois nous sommes l’autre vase celui qui se croit parfait, parfois nous sommes le porteur d’eau qui sait tirer parti de la réalité, et parfois nous sommes la rivière prête à abreuver chacun, parfois nous sommes les enfants et nous sommes satisfaits de l’eau reçue ou frustrés de l’eau d’arrosage, et parfois nous sommes les fleurs qui poussent le long du chemin, parfois nous sommes l’eau elle-même, et souvent nous sommes tout cela. Un peu comme le dit Fritz Perls, pour qui chaque personnage du rêve représente le rêveur lui-même.
Parfois, nous sommes simplement des individus qui aiment les histoires qui ouvrent nos horizons.
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J’examine mes actions et je m’interroge. Je prends pour exemple un incident récent et je me questionne. Se range-t-il sur le plateau du bien et de la vie ? Se range-t-il sur le plateau de la tristesse et du malheur ?
Peut-être qu’aujourd’hui je vois les conséquences négatives ? Peut-être que demain j’aurai construit d’autres pensées et d’autres actions qui donneront à cet acte un aspect positif ?
A Roch hachana, je ne fais pas que classer les actions du passé, je leur donne des conséquences. Telle erreur peut me permettre une remise en cause qui apportera beaucoup de bien autour de moi, telle souffrance peut me donner une profondeur qui me permettra de mieux me comprendre et de mieux comprendre les autres.
Mais pour que je puisse apprendre, il y a un prérequis : la parole. Si le vase brisé n’était pas sorti de sa culpabilité silencieuse, jamais il n’aurait pu comprendre les bénéfices de son imperfection.
Si nous ne partageons pas le sentiment que nous inspirent nos faiblesses à Roch Hachana, comment saurons-nous ce qu’elles signifient vraiment pour nos compagnons sur le chemin de la vie ?
Partage ton sentiment avec ton prochain et tu ne porteras pas de faute (Lev.19)/ Aime ton prochain comme toi-même.
Ah si seulement nous avions conscience de l’étendue de notre ignorance !
La tradition nous incite à être humbles comme Moïse notre maitre. L’humilité ce n’est pas l’auto-flagellation, dans un sacrifice de souffrance. L’humilité c’est offrir ce que nous sommes, accepter et partager ce que nous sommes pour permettre aux autres d’apprécier simplement ce que nous sommes capables d’offrir.
Trouver une meilleure place à ce que nous sommes. Car il faut de tout pour faire un monde. Personne dans la vie ne choisit sa couleur. Il y a un temps pour tout, un temps pour planter et un temps pour arracher, un temps pour la joie et un temps pour la peine, comme le dit kohelet.
Chacun a sa place dans le monde, et le monde a besoin de toutes nos qualités, qui peuvent sembler contradictoires, juste parce qu’elles sont adaptées à des solutions différentes.
L’influence de nos actes est systémique.
Je choisis ce que je dis ce soir, vous choisissez ce que vous voulez en faire dans vos pensées et dans vos vies, vous pouvez choisir de m’en parler à votre tour, et je peux choisir de m’en inspirer pour aller plus loin encore. Vous pouvez partager ces pensées autour de vous, ou les laisser grandir en vous, vous pouvez les critiquer, vous construire avec elles ou contre elles, vous pouvez les oublier.
Si le porteur d’eau sème des graines du côté où l’eau échappe au vase, le bord de la route sera fleuri.
C’est la nature des vases que d’être brisés, c’est la nature des êtres humains que d’être imparfaits, brisés, réparés, reconstruits, raccommodés.
C’est le but de Roch Hachana de nous inviter à démonter les morceaux et à les recoller.
Démonter et recoller ce qui se trouve en nous, nos émotions, nos aspirations « positives » ou « négatives ». Toutes ont leur rôle. Tu aimeras l’Eternel בכל לבבך, avec toutes les parties de ton cœur.
Roch hachana nous invite à examiner chaque événement de l’année écoulée, à le soupeser, à en examiner la nature, à en évaluer les défauts et le potentiel.
Ce jour nous invite à examiner notre place sociale, celle que nous attribuons à nos proche dans notre vie, pour trouver la meilleure façon de contribuer à leur bonheur et pour les aider à contribuer au nôtre. Pour nos proches et nos moins proche, et aussi pour ce qui est de notre engagement dans la cité.
Que sommes-nous, qu’est-ce que notre vie, notre force, notre sagesse ? Mais nous sommes les enfants de ton alliance (prière du matin).
Nous ne savons pas encore ce qui repose sur lequel des plateaux de la balance de la vie et du bien ou de la détresse et du malheur. Nous avons 9 jours pour en décider. Jusqu’à Kipour.
La tradition nous demande de considérer que notre balance personnelle est équilibré, une seule de nos bonnes actions peut faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre.
Nous considérons que la balance du peuple juif est équilibrée, une seule de nos réévaluations peut faire pencher la balance de tout le peuple vers le bonheur ou le malheur. La balance de la création toute entière est équilibrée, un seul de nos actes peut faire pencher la balance du monde.
Ce même acte nous permet de faire pencher la balance à tous les niveaux, d’être bons à la fois pour nous-mêmes et pour autrui. Tout est systémique.
Que nos efforts permettent à nos proches de tirer le meilleur de l’année à venir.
Puissions-nous nous-mêmes tirer le meilleur des événements de l’année qui s’annonce.
De même que nous avons découvert des pensées qui échappaient totalement à notre conscience par le passé, que nous découvrions cette année tout ce qui peut nous permettre de trouver notre meilleure place dans la société, de trouver la meilleure place intérieure à nos qualités et à nos défauts, à nos plénitudes et à nos brisures, et aux plénitudes et aux brisures de nos proches.
Que, comme dans l’histoire du Maguid de Doubnov, la brisure du diamant soit retravaillée pour devenir une gravure précieuse.
Que nous nous retrouvions, dans un an, le soir de Roch hachana, emplis de la satisfaction de nos réussites et de l’espoir de devenir meilleurs encore.
Chana tova,
Rabbin Floriane Chinsky
A reblogué ceci sur Liberté juive – Chalom BanaïHet a ajouté:
Mon discours de roch hachana,,, צום קל וחתימה טובה
Magnifiques paroles, il y a tout dans ce texte.
Merci aussi de bien vouloir poster quelque part le « anti-vidoui », l’idée est géniale, et sa citation à deux reprises mercredi soir est venue à point nommé pour redonner un peu de baume au coeur en ces moments de culpabilité/culpabilisation extrêmes… L’effet de surprise a été bien plus fort que si cela avait été institutionnalisé dans le rituel.
À bientôt
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