Cher Dieu,
Toi qui n’existes pas, toi dont le nom n’existe pas, Toi que nous mentionnons sans cesse dans nos prières, Toi dont nous respectons les commandements,
Cher Dieu,
Toi dont nous ne savons que faire en ce jour face à la tragédie du passé.
Cher Dieu,
Aujourd’hui, nous pleurons l’assassinat de chacun et de chacune des déportés, la disparition de chacune de leurs pensées, chacun de leurs sentiments, de leurs savoirs, de l’univers émotionnel et culturel qu’ils portaient, de leur importance pour eux-mêmes, pour leurs proches, pour l’équilibre du monde.
Aujourd’hui, nous faisons face aux souffrances qu’ils ont endurées, celles de leur proches qui les ont espérés, attendus, perdus.
Aujourd’hui, nous portons devant toi les souffrances des rescapés, des enfants de rescapés et de leurs petits-enfants.
Aujourd’hui nous rappelons chacun des actes constitutifs de ce génocide et chacune de ses conséquences.
Nous nous souvenons de l’horreur de ce crime, cette destruction des juifs parce qu’ils étaient juifs, de cette plaie encore ouverte dans l’identité juive et dans l’humanité toute entière.
Aujourd’hui, nous portons devant toi le deuil et le bouleversement de nos cœurs.
Cher Dieu,
En ce jour de sinistre commémoration, j’aimerais faire le bilan de ton ouvrage. Ton ouvrage, c’est nous.
Tes serviteurs, nos sages, Hillel et Chamai, se sont interrogés pendant 2 ans et demi pour savoir si tu avais eu raison de créer l’être humain. Contrairement à leur habitude, ils sont finalement tombés d’accord : c’était une erreur, il aurait mieux valu ne pas créer l’humanité, mais maintenant que nous sommes là, il nous appartient de serrer les dents et de faire de notre mieux.
Cher Dieu,
En ce jour de sinistre commémoration, j’aimerais également faire le bilan de notre ouvrage. Notre ouvrage, c’est toi.
D’après notre tradition, nous sommes pour toi, tu es pour nous, nous portons des téfilines affirmant ton unité, tu portes des téfilines affirmant la nôtre, et si on peut s’interroger sur l’utilité d’avoir créé l’homme, en toute réciprocité, nous pouvons questionner également l’opportunité pour l’humanité d’avoir créé « dieu ».
Fallait-il créer « Dieu » ? Quel serait ce Dieu unique et unificateur, qui laisserait ses enfants s’entre-détruire?
Yom hachoa, l’immensité de la blessure ouverte par l’humanité, dans le corps même de l’humanité, il y a 70 ans nous pousse à ces questions dramatiques. Fallait-il créer l’être humain ? Fallait-il créer « dieu » ? Si le meilleur de l’humain est incarné par l’image de dieu, l’humain, comme le divin, ont été assassinés dans les camps, six millions de fois. Il est clair maintenant que, contrairement à la recommandation de Hillel et Chamai, nous n’avons pas « tiré le meilleur parti » de la nature humaine et de l’inspiration divine censée la guider.
Le dommage est-il réparable ? Cher Dieu, qu’en dis-tu ? Pour toi qui es si inaccessible, 6 millions sont-ils comme une goutte d’eau dans l’océan ? 4 ans de choa sont-ils un instant fugace dans l’histoire de l’univers ?
Cher Dieu, qu’en dis-tu ? Toi qui es si proche de nous, n’as-tu pas lu dans le Talmud que la mort d’une seule personne équivaut à la mort d’un monde entier, d’une humanité entière ?
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Tes serviteurs, nos sages, dans leur grande sagesse, nous ont enseigné qu’une chose impropre pouvait être « annulée » si elle était diluée dans 60 fois son volume.
La Choa pourrait-elle être diluée ?
Nous craignons qu’elle ne soit diluée, oubliée, perdue, diluée par 60 fois son volume d’infox, de fake news, de manipulation, de jeux sur la peur, de mensonge, de lâcheté, de souffrances futures, de souffrances de notre peuple, de souffrances de l’humanité, de nouveaux crimes génocidaires, dans 60 fois plus de repli.
La choa ne doit pas être diluée.
Au contraire, elle doit nous mobiliser, pour que la lâcheté, le silence et l’indifférence d’alors nous inspirent 60 fois plus de courage, 60 fois plus de solidarité, 60 fois plus de force bienveillante dans notre peuple, et 60 fois plus de force bienveillante dans l’humanité.
En prononçant nom après nom, âge après âge, l’identité des déportés pendant les 24 prochaines heures, nous devons aussi espérer. J’aimerais que pour chacun de ces noms, soixante personnes s’emparent des valeurs de l’anti-choa.
Laissons résonner quelques mots d’Edmond Fleg. Ces mots, il les adressait aux jeunes juifs engagés dans la résistance, ils ont été recueillis par la suite dans son livre « le chant nouveau », Chir Hadach. Ces paroles, exprimées au cœur de la tourmente, restent pleinement valides :
« Ce que vous souhaitez sans doute, c’est un chant nouveau de courage et d’espérance : « Chantons, dit le Psalmiste, un chant nouveau ! » (Psaume CXLIX) (…)
La chose ne serait possible que si l’on parvenait à dégager ce Chant Nouveau, capable d’émouvoir également toutes les âmes juives. Le passé nous a laissé un immense trésor de foi, de savoir et de faits, qui demeure ouvert devant nous. Dans ce trésor, essayons de découvrir ce qui, traduit en langage d’aujourd’hui, peut parler efficacement à un juif d’aujourd’hui, pour l’aider à reconstruire, en son âme, le judaïsme, et à collaborer, pour sa modeste part, à la résurrection de la patrie et de l’humanité. Peut-être, alors, nous sera-t-il possible de chanter, pour nous et pour tous, le Chant Nouveau. »
70 ans après la choa, il est évident que le « plus jamais ça » est loin d’avoir gagné. Pour remporter la victoire, en tant qu’armée de paix, « tseva chalom », il est nécessaire de traduire l’aspiration de Fleg à un niveau plus large, au niveau universel, si bien que :
« La chose ne sera possible que si l’on parvient à dégager ce Chant Nouveau, capable d’émouvoir également toutes les âmes humaines. Dans ce trésor, essayons de découvrir ce qui, traduit en langage d’aujourd’hui, peut parler efficacement à l’humanité d’aujourd’hui, pour l’aider à reconstruire, en son âme, l’identité humaine. Peut-être, alors, nous sera-t-il possible de chanter, pour nous et pour tous, le Chant Nouveau. »
Cher Dieu,
Aujourd’hui, nous ne quitterons pas ton côté, car tu incarnes pour nous l’unité de l’humanité, le meilleur de nous-mêmes. Nous nous tiendrons à ton côté, et nous considérerons que tu te tiens au nôtre, durant ces 24 heures.
Nous serons là pour évoquer la mémoire.
Notre but, comme le disait le prophète MiHa, reste d’œuvrer à la justice, d’aimer la bonté et de progresser humblement aux côtés de notre Dieu.
Cher Dieu, en ce jour de yom hachoa véhagvoura, progressons humblement ensemble, ainsi que nous le faisons, en ce jour et tous les jours, cette année et toutes les années, dans cette génération et dans toutes nos générations, depuis 3000 ans.
En dépit de la tragédie que nous commémorons aujourd’hui, nous affirmons, comme par le passé, et pour l’avenir : Itgadal véitkadach chémé rabba, mir zeinen do, Nous sommes là !
Merci
Excellent ! Bravo et merci madame le rabbin Floriane Chinsky !
Texte très émouvant précédent cette cérémonie commémorative !
Pour ne jamais oublier !