Voici l’article que je viens d’écrire pour le magazine « L’Appel ».
Vos remarques et vos idées m’intéressent, partagez-les!
Le sacré est de nos jours communément exprimé par le mot « spiritualité ». L’esprit est évanescent et s’élève. Le corps jeune et fin, retouché, des publicités, n’est plus un corps mais un avatar.
Il existe une autre façon de concevoir le sacré. On peut le concevoir comme l’ancrage, la profondeur, la matière, le lien avec la vie dans ce qu’elle a de plus concret, nos corps, leurs limites et leur souffrance, leur imperfection, leur mortalité. La première vision défie la pesanteur, la deuxième l’assume et l’investit. La première voudrait que l’humain ne soit que pensée et nous place au-dessus de l’animalité, la deuxième nous associe au naturel et au sauvage.
Nos corps sont-ils à l’image d’un dieu abstrait ou à l’image d’animaux faits de matière ? Reprenons le récit biblique : D’une part, les humains sont créés « à la ressemblance » (Gen.1 :26) du Créateur invisible. Donc, peut-être, abstraits.
Mais d’autre part, les premiers alter-egos de l’humain premier sont faits de matière. Lorsque l’Eternel comprend qu’il lui faut des compagnons, il décide de les façonner avec de la terre (Gen.2 :18, le terme employé est עֵזֶר, ézer, un aide), il crée les animaux et les lui présente (Gen. 2 :19).
C’est uniquement après l’échec de cette stratégie que le Créateur divise l’humain initial en ses deux parties, qui se tiendront réciproquement compagnie (Gen. 2 :21). Cette histoire invite à reconnaitre la nature animale de l’humanité, ainsi, peut-être, que son désir d’y échapper en n’acceptant de compagnon autre qu’issu de lui-même.
Le corps humain est-il alors plus « spirituel » que le corps animal ? L’un est élevé, l’autre vil ? Cela ne semble pas être le cas puisque de nombreuses associations et comparaisons existent. La vision d’Ezéchiel présente des créatures célestes à quatre côtés, des créatures cubiques, ayant face d’humain, de lion, de taureau et d’aigle (Ez. 1 :8). Près de huit siècles plus tard, dans la Michna, Rabi Yéhouda ben Téma nous compare aux animaux en demandant « sois fort.e comme le tigre, et léger comme l’aigle, et rapide comme la gazelle, et courageux comme le lion, pour faire la volonté de ton père qui es aux cieux. » (Avot 5 :20). L’incitation sera encore d’actualité pour Rabbi Yossef Karo, au XVIe siècle, et il introduira ainsi le plus célèbre recueil de loi du judaïsme : « Il saisira son courage comme le lion pour se lever le matin pour le service de son Créateur… » (ChouHan ArouH O »H 1 :1). Ces exemples valorisent la nature et trouvent des qualités au sauvage.
L’association entre le sauvage et le cultivé se retrouve à cette période l’année qui nous mène la liberté de la fête de PessaH à la responsabilité de Chavouot. Le temps de la sortie d’Egypte est en efffet le temps de la nature. Le livre biblique associé, lu spécialement à la fête de PessaH, fête de la libération, est le cantique des cantiques, « Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, qui repose sur mon sein. Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène dans les vignes d’En-Ghedi. Que tu es belle, mon amie, que tu es belle! Tes yeux sont ceux d’une colombe. Que tues beau, mon bien-aimé, et combien aimable! Notre couche est un lit de verdure. Les solives de nos maisons sont de cèdre, nos lambris sont de cyprès. ».
Une errance libre y permet de renouer avec les rythmes oubliés dans l’oppression. Le ressourcement dans la nature, la reconnexion à soi-même après l’esclavage, apparait comme une nécessité.
Quarante-neuf jours après, le judaïsme célèbre la fête de Chavouot qui signifie à la fois promesses et semaines. Promesse, parce que le temps de la responsabilité est venu, les hébreux reçoivent l’enseignement, la Torah, un cadre d’étude et de comportement qui les engage. Semaines, parce que cet engagement suit nécessairement le respect du cycle naturel, le temps des sept jours correspondant aux phases de la lune.
Ainsi, la « loi » juive ne s’oppose pas à l’ « amour » chrétien. Le cadre de l’engagement juif prend en compte la réalité naturelle dans sa puissance sauvage dans un dialogue et une co-action nécessaires.
Prochain Atelier Humaniste: 12 juin – Embrasser le sacré de chaque instant
Bonjour Floriane,
C’est peut-être moi qui n’ai pas bien compris mais je pense qu’il y a une typo :c’est bien sept semaines et non sept jours qu’il faut lire ?
« Semaines, parce que cet engagement suit nécessairement le respect du cycle naturel, le temps des sept jours => semaines correspondant aux phases de la lune. »
Bonne journée et toutes mes excuses si c’est moi qui ai mal compris.
Bonjour, et merci pour cette occasion de préciser: » le temps des sept jours correspondant aux phases de la lune »: le cycle lunaire dure 28 jours, il comporte 4 phases, donc chaque phase dure 7 jours, ainsi nait le temps de la semaine que je considère dans cet article comme un temps « naturel » pour cette raison. Chavoua = semaine en hébreu, Chavouot = des semaines, ch’vouot= des promesses. Je peux comprendre la confusion car chavouot est 49 jours après pessaH soit 7 semaines de 7 jours ce qui associe le chiffre 7 à la fois au nombre de jours de la semaine et au nombre de semaines séparant pessaH de chavouot. Est-ce plus clair?
Oui merci c’est clair 🙂
Bonjour Floriane, J’espère que vous allez bien, votre article m’a fait réagir. J’ai rédigé quelque chose.
Tout d’abord, j’espère que dans mes propos il n’y aura rien qui vous heurtera. Je sais que je peux être de nature maladroite et je suis un peu brute parfois dans ma façon de m’exprimer. Surtout si je commets une erreur, n’hésitez pas à me corriger. Je vous respecte profondément.
Un grand merci car votre article m’a fait réfléchir et j’ai aimé ce moment. Notre corps et notre esprit sont indissociables. Le langage du corps et notre façon de nous tenir sont une manifestation de notre esprit. Tout le monde ne peut pas se vêtir de la même façon et dégager la même apparence. En revanche, notre esprit doit avoir l’ascendant sur le corps. Pour moi, en tant que femme chrétienne, le sacrement consiste à donner sa vie : par le baptême on donne sa vie à Dieu en devenant l’instrument de son amour, par le mariage on donne sa vie à son époux… la vie c’est l’esprit et le corps : on ne peut pas étudier la Parole de Dieu et se droguer.Notre côté animal a besoin d’une « intelligence » ou d’une « éducation » qui va dompter les pulsions qui sont fruit du corps, comme les hormones à l’adolescence qui nous font découvrir de nouvelles sensations parce que le corps change.
Mais tout cela résulte d’un choix, c’est à nous de choisir si notre vie intérieure sera harmonieuse ou au contraire, chaotique, d’où notre responsabilité. Car notre esprit et notre corps cohabitent et chacun doit être à sa place.C’est notre esprit qui fait notre singularité propre à chaque être humain.
Certes, il est écrit dans la Genèse que l’humain a été fait à la ressemblance de son Créateur. En lisant la suite du récit c’est pour « qu’il soit le maître des poissons dans la mer, des oiseaux dans le ciel et sur la terre, des gros animaux et des petites bêtes qui se meuvent au ras du sol. » Par ailleurs, il est écrit Gn 2, 7 « il insuffla dans ses narines le souffle de vie » ce n’est pas applicable aux animaux qui ont été faits à partir de la terre.
Ressemblons-nous au Créateur invisible de par son intelligence et sa supériorité dans le but de gérer la création « comme un bon père de famille » pour en prendre soin ? Par ce souffle, une connexion se créé entre Dieu et l’Homme pour que nous soyons cré-acteurs.L’Homme a été placé dans le jardin pour le cultiver et le garder, l’Homme a été créé pour être actif, pour travailler.Les animaux sont l’aide pour cultiver le jardin mais l’homme a besoin d’une aide autre : une aide qui l’aide à s’accomplir, une aide qui a la même façon de communiquer, qui répond à ses besoins et surtout qui serait son égal.
Notre corps nous rappelle nos besoins matériels et nous rattache à notre côté animal mais il peut être incompatible avec « l’intelligence » que notre Créateur nous a donné et notre esprit nous évite de devenir une proie. La loi juive et l’amour chrétien ne sont pas opposés (c’est vrai, je suis complètement d’accord): qu’il s’agisse de la religion juive comme de la religion chrétienne, nous devons travailler à faire évoluer notre esprit en « nous connectant » avec notre Créateur, afin de ne pas être esclave de nos pulsions pour devenir une proie du mal. Car Il nous connait mieux que personne, puisqu’il nous a créé, et Il sait ce qui est bon pour nous.Il nous a tous créé, il n’y a pas une vie supérieure à une autre, et comme nous sommes tous différents, il y a plusieurs façons d’aimer notre Créateur. Armand Abecassis décrit dans son livre « En vérité je vous le dis » que dans notre vie, nous vivons plusieurs engendrements pour faire cheminer notre vie spirituelle.
Bonjour, merci pour ce beau partage, j’y sens effectivement respect et ouverture. Je pense que nous sommes d’accord sur le fait que le corps doit être pris en compte, comme la nature il doit être « soigné et gardé » par nous. La question qui se pose à nous à mon sens est: que faisons-nous de ce corps et de ce monde matériel qui nous freine dans nos aspirations les plus élevées. Mais en même temps, il ne fait pas que nous freiner, il nous porte aussi, c’est notre corps qui nous permet d’exister, c’est la matérialité du monde qui nous permet de créer. Quel est le rapport entre le sacré et la matière? Vaste question! Nous en parlerons d’ailleurs dans le prochain atelier humaniste, si vous voulez vous joindre à la discussion. Merci encore pour ce regard, et très bonne continuation. (et bonne fête de l’Ascension)