Paracha Vayéchev : pourquoi sacrifier Joseph ?

Joseph est le onzième fils de Jacob et le premier-né de Rachel.

Joseph est né à Haran, ville araméenne, où s’était retiré son père, Jacob. Après avoir passé son adolescence en terre de Canaan avec sa famille, il s’est retrouvé exilé en Égypte, malgré lui, et jusqu’à la fin de ses jours. En Égypte, Joseph a connu la prison et les plus grands honneurs auprès de Pharaon.

Joseph est un personnage important de la Torah. Il relie l’époque d’Abraham et de sa proche descendance, à l’époque ultérieure de la libération des hébreux, conduite par Moïse.

La paracha Vayéchev nous conte les mésaventures de Joseph. Elle nous conduit aussi à nous interroger sur la valeur de la vie humaine et sur la prise de risque individuelle.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vayéchev du sefer Béréchit (Genèse) 37:1 à 40:23 et le « sacrifice » de Joseph

Nous tenons beaucoup à la vie, certes; mais jusqu’à quel point, et à quel prix ? Le Talmud Yoma, dont le principal objet est la pratique de Yom Kipour, aborde ce sujet qui est repris spécifiquement par l’expression rabbinique « PikouaH néfech » (פיקוח נפש) signifiant « Surveillance, protection de la vie humaine ».

La règle de « PikouaH néfech » indique que la préservation de la vie humaine l’emporte sur pratiquement toute les autres considérations religieuses.

Font exceptions, les trois interdictions suivantes : l’idolâtrie flagrante, l’inceste et l’adultère et le meurtre d’une personne qui ne menace pas notre vie.

Savoir, ou simplement supposer, que notre vie a un sens, est nécessaire à notre plaisir de vivre et à notre équilibre. Nous tenons instinctivement à la vie, et il nous est difficile de savoir réellement en quelles circonstances nous serions prêts à la mettre en jeu, à nous sacrifier.

Cette question est au cœur de la paracha Vayéchev. En la lisant nous avons le sentiment que, d’une certaine façon, Israël (Jacob) a sacrifié Joseph, ou bien que Joseph s’est lui-même sacrifié. Dans le parcours de vie de Joseph, rien n’est simple.

Commençons par commenter le verset suivant de la Genèse :

Béréchit 37:3. Or Israël [Jacob] aimait Joseph davantage que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse; et il lui avait fait faire une longue chemise [tunique] à rayures.

Israël aime particulièrement Joseph. Il aime bien-sûr ses autres enfants, mais pas de la même façon. Israël souhaite différencier Joseph de ses autres enfants, et pour le distinguer matériellement il lui fait porter une tunique à bandes de couleurs différentes.

Pourquoi cette préférence ? Il est peut-être commun parmi les parents de préférer l’un ou l’autre enfant, ou en tout cas de reconnaitre leur diversité et les qualités particulières de l’un ou de l’autre. On peut également penser que la préférence de Jacob s’explique du fait de la préférence qu’il a justement pour Rachel, la mère de Josèphe, qu’il a profondément aimée.

Mais nous devons voir plus loin. Israël a eu de nombreux enfants de quatre femmes différentes. Certains commentateurs pensent que la tunique bariolée de Joseph est l’image d’un rassemblement d’identités multiples. Joseph serait donc l’enfant le plus apte à faire l’unité auprès de lui, à rassembler tous les enfants d’Israël (Jacob) au-delà de leur diversité.

Ce n’est pas ce qui va se passer dans un premier temps. Le fait de distinguer Joseph, le sépare des autres enfants et provoque leur jalousie. En le distinguant, Israël met Joseph en situation de risque. C’est pour cela qu’on peut se demander s’il le « sacrifie » sciemment.

(Cet épisode de la Torah nous fait bien prendre conscience que quiconque proteste, lève la tête, se révolte individuellement pour défendre une cause, prend des risques personnels importants. Se démarquer de la « masse » est parfois dangereux.)

Une alliance s’est constituée entre Israël et Joseph dans la recherche de l’unité et de la paix. Israël « sacrifie » Joseph en le chargeant d’établir l’unité de sa descendance. Israël sait que Joseph devra affronter la haine terrible qui s’est installée envers lui, et Joseph est tout à fait conscient de ce défi.

Béréchit 37:4. Quand ses frères virent que leur père l’aimait de préférence à eux, ils le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler dans la paix.

Israël et Joseph sont en situation de prise de risque conjointe dans le dialogue suivant :

Béréchit 37:13 à 37:14. Par la suite Israël dit à Joseph: « Tes frères font paître les troupeaux près de Sichem, n’est-ce pas? Viens, je veux t’envoyer vers eux. » Joseph répondit: « Je suis prêt »… Israël reprit: « Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail et rapporte m’en des nouvelles. » Ainsi, il l’envoya de la plaine d’Hébron et Joseph se rendit à Sichem.

De façon concise, voici ce qui se passe ensuite : courageusement Joseph part à la recherche de ses frères. Il rejoint ses frères qui le dépouillent aussitôt de sa tunique bariolée, puis le jettent dans un puits vide. L’un des frères propose de vendre Joseph à une caravane d’Ismaëlites qui s’approche. Mais des marchands Midianites, qui passent par là, tirent Joseph du puits et le vendent aux Ismaëlites qui décident d’emmener Joseph avec eux en Égypte. Par la suite, les Midianites reprendront Joseph et le vendront comme esclave à Potiphar, officier de Pharaon.

Cet événement a été l’objet d’un commentaire de Rachi. Selon Rachi, le mot « passim » -פַּסִּים- de l’expression « kétonet passim » -כְּתֹנֶת פַּסִּים- (tunique bariolée) est porteur de sens. Il présage des dangers auxquels Joseph est exposé : pé de passim (Potiphar dont l’épouse mettra Joseph en grand danger), sameH de soHarim (les marchands), youd de Yichmaélim (les Ismaëlites), mèm de Midianites.

Après coup, les frères de Joseph trempent la tunique bariolée (celle qui devait symboliser l’unité) dans le sang d’un bouc et la font porter à leur père, Israël.

La suite dans les versets suivants :

Béréchit 37:33 à 37:36. Il la reconnut et s’écria: « La tunique de mon fils! Une bête féroce l’a dévoré! Joseph a sûrement été mis en pièces! »…Et Jacob [Israël] déchira ses vêtements, mit un cilice sur ses reins et porta longtemps le deuil de son fils…Tous ses fils et toutes ses filles se mirent en devoir de le consoler, mais il refusa toute consolation et dit: « Non! Je rejoindrai, en pleurant, mon fils au Shéol! » Et Jacob [Israël] continua de le pleurer…Quant aux Midianites, ils vendirent Joseph en Égypte à Potiphar, officier de Pharaon, chef des gardes.

Le chagrin et l’espoir d’Israël (Jacob)

Le chagrin et la douleur se sont emparés d’Israël après la disparition de Joseph; mais l’espoir est toujours là, malgré les apparences.

Selon Rachi, le grand-père Isaac a la quasi certitude que Joseph est toujours en vie. Il semblerait qu’Israël ne soit pas véritablement en deuil, mais plutôt en situation de doute quant à la mort de son fils. On peut penser que ses troubles s’apaisent légèrement et il se crée une communication par la pensée entre lui et Joseph, une continuité de leur alliance, en remplacement du contact direct.

Jacob savait le risque qu’il prenait en envoyant Joseph vers ses frères, il n’a pas vu la dépouille de Joseph, l’attitude de ses fils doit sans doute d’une façon ou d’une autre refléter leur sentiment de culpabilité. Ces fait, en plus de sa capacité prophétique, donnent certainement à Jacob des indications à propos du sort de Joseph et de l’avenir de sa descendance.

Israël se sent encore relié à Joseph par la finalité de leur alliance. En dépit des événements, il garde en lui l’espoir de la paix et de l’unité autour de Joseph, dans un nouveau cadre. Unité indispensable à l’existence de ce qui deviendra son peuple, le peuple Juif.

Jacob et Joseph n’ont sacrifié personne. Ils ont pris un risque calculé. Peut-être, qui sait, l’unité des frères pourra avoir lieu dans l’avenir.

Dans la vie, les moments d’incertitudes ne sont pas faciles à vivre. Il est important néanmoins de mettre toutes les chances de son côté, quitte à prendre des risques. Jacob et Joseph nous en donnent l’exemple.

Paracha Hayé Sarah : combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ?

Pendant encore combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ? Tout au long de l’histoire, de jeunes personnes, au plus fort de leurs capacités physiques et morales, sont parties combattre et se sacrifier pour leurs aînés, leurs clans ou leurs nations.

Le sacrifice d’Isaac est d’un tout autre type, mais il nous conduit quand même à nous poser cette question sur un plan général.

Isaac n’est pas mort, mais sa mère Sarah est littéralement morte d’angoisse à l’idée de le perdre. Pourquoi « Dieu » aurait-il permis une telle chose?

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Hayé Sarah du sefer Béréchit (Genèse) 23:1 à 25:18 et les vies de Sarah

Béréchit 23:1 à 23:2. Et la vie de Sarah fut de cent vingt-sept années; telle fut la durée des années de la vie de Sarah…Sarah mourut à Kiriath-Arba, c’est à dire à Hébron, dans le pays de Canaan. Abraham y vint pour se lamenter sur Sarah et la pleurer.

Le midrach raconte que Sarah est morte suite au départ d’Abraham et d’Isaac. Sarah mourut avant Abraham. Elle fut admirable et irréprochable pendant toute une vie au parcours éprouvant : le départ de Haran pour une terre inconnue, l’enlèvement par Pharaon puis par AbiméleH, et pire encore, le départ d’Isaac.

Le départ d’Isaac avec son père, sur ordre de « Dieu » est un épisode délicat et très discuté. Il s’agit d’un très beau passage (encore plus en hébreu) qui souligne la proximité entre le père et le fils, et leurs questionnements concernant la nature de leur voyage. Selon la tradition juive, ce voyage fut une épreuve, sans aucune intention de réellement sacrifier Isaac. La nature de cette épreuve est discutée: « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était bien prêt à tout lui sacrifier? Ou au contraire, « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était justement prêt à renoncer aux sacrifices humains fréquents à cette époque? Toujours est-il que cette épreuve subie conjointement par Abraham et Isaac a été vécue par Sarah dans la solitude. Son inquiétude fut telle que Sarah ne pût résister à l’angoisse qui la submergeât et qu’elle mourût.

Revenons à la destinée de Sarah. « Hayé Sarah » (חַיֵּי שָׂרָה), « la vie de Sarah », ou plutôt « les vies de Sarah », comme si Sarah avait eu plusieurs vies. Le mot « chana » (שָׁנָה), « année », est repris plusieurs fois, car dans la tradition juive le caractère sacré de la vie correspond au sacré de chacun de nos instants de vie, de chacune de nos années de vie.

La vie de Sarah fut parfaite. Sarah vécut 127 ans. « Les 3 vies » de Sarah furent de 100 ans, 20 ans et 7 ans. Cette façon de voir les choses signifie que Sarah fut admirable et irréprochable à 7 ans, à 20 ans, comme à 100 ans malgré ce qu’elle endurât. Sarah fut très belle aussi; ce qui provoqua quelques déboires lors de ses voyages avec Abraham, aussi belle à 100 ans qu’à 20 ans et à 7 ans.

Toujours d’après Rachi, l’expression « chné Hayé Sarah » (שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה), « les années de la vie de Sarah » est à souligner, car absolument toutes les années de la vie de Sarah sont à prendre en considération. Chacune de ces années fut imprégnée de sa bonté, de sa sagesse, de son aura.

Sarah fut la première des matriarches et patriarches à être inhumée à Hébron anciennement appelée Kiriath-Arba,  » la colline des quatre ». Effectivement, 4 couples fondateurs y sont enterrés : Adam et Ève (d’après la tradition), Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob et Léa.

L’année dernière, tout près d’Hébron, le Rabbin Arik Ascherman de l’association « Les Rabbins pour les droits de l’homme » a été attaqué au couteau alors qu’il défendait le droit des arabes palestiniens à la culture des oliviers. Hébron est actuellement un foyer de haine (comparable à la mésaventure de Caïn et Abel) où la coexistence est devenue extrêmement difficile.

La ville d’Hébron est âgée d’environ 4000 ans (période du bronze ancien). Hébron a été détruite une première fois il y a 3500 ans lors d’une invasion égyptienne, puis a été reconstruite, puis redétruite, puis reconstruite. Les Juifs en ont été chassés ou ont été tués. Des pogroms ont eu lieu en 1517, 1834, 1929…contre les Juifs qui sont quand même revenus. Malheureusement, en 1994 c’est un Juif, Baruch Goldstein, qui a tué 29 arabes palestiniens dans le Tombeau des Patriarches.

Aujourd’hui, Hébron est très loin d’être le lieu de paix dédié à Sarah. Cependant, il est important de mentionner qu’un Sage chrétien du 5° siècle disait qu’Hébron était, à cette époque, un lieu de fêtes estivales annuelles où se retrouvaient dans la joie, chrétiens, juifs et païens (l’Islam n’existait pas encore). Hébron garde son potentiel d’union, et le retrouvera peut-être un jour.

Rappelons-nous un passage de la Genèse qui cite l’Éternel [parlant à Abraham, le mari de Sarah] : « …et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre ». Rappelons-nous aussi, que selon le Midrach, Sarah a allaité tous les petits enfants présents au banquet donné en l’honneur d’Isaac, en signe de partage. À travers ces faits, mettons en avant les initiatives de paix de la population de l’état d’Israël. Des associations s’activent en ce sens : « Les Rabbins pour les droits de l’homme », « Les enfants pour la paix », etc… Mettre en avant les initiatives pacifistes, c’est leur donner plus de poids.

Évoquer Sarah nous fait songer à un monde sans violence

Le nom de l’association « Les enfants pour la paix » est très significatif. La meilleure façon d’épargner, de soutenir les enfants, de les inciter à rester en paix, qu’ils soient israéliens, palestiniens, de n’importe qu’elle religion ou nationalité, est de les faire se rencontrer et de leur confier la responsabilité de leur avenir. Ainsi, par eux-mêmes, ils deviendront tolérants, s’apprécieront, et seront heureux de construire ensemble un monde sans violence.

L’expression Hayé Sarah, « les vies de Sarah » au pluriel, symbolise notre capacité d’évolution vers un monde de paix en nous investissant, comme elle, dans cette direction, chaque minute, chaque journée, chaque année de notre vie.

Le Tombeau des Patriarches, où se trouve Sarah, peut encore être visité. Il matérialise le devoir de mémoire nécessaire à une projection vers un futur de paix. Un futur de paix où le sacrifice de nos enfants n’aura plus aucun sens.