Paracha Vayikra : comment éviter de se sacrifier ?

Ouvrons le sefer Vayikra, le Lévitique, troisième des cinq livres de la Torah.

Ce livre doit son nom à Lévi, fils de Jacob, fondateur de l’une des douze Tribus d’Israël dont les descendants, les Lévites, avaient la charge du service du Temple. Les prêtres, les Cohanim, étaient tous issus de la Tribu de Lévi et les premiers d’entre eux furent Aaron et ses fils.

Le Lévitique est composé de 27 chapitres qui relatent l’exposé des lois et des rites formulé par l’Éternel. La première paracha, la paracha Vayikra, nous présente les prescriptions de l’offrande et du sacrifice.

Comment éviter de se sacrifier ? Dévoilons cette expression énigmatique en nous concentrant sur ce passage du Lévitique.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vayikra du sefer Vayikra (Lévitique) 1:1 à 5:26 et le sens des korbanot

Vayikra (וַיִּקְרָא) signifie : « et il appela ».

Abordons les deux premiers versets de la paracha.

Vayikra 1:1 à 1:2. Et l‘Éternel appela Moïse depuis la tente de réunion et lui parla en ces termes:…« Parle aux enfants d’Israël et dis-leur… »

Dieu interpelle Moïse afin de lui signifier un événement majeur dans la vie du peuple juif : le cadre de la pratique du Judaïsme est mis en place et des règles importantes sont instituées.

Nous pourrions commencer simplement par détailler ces règles, cependant l’appel que nous venons de citer est emblématique des rapports entre Dieu et Moïse.

Selon Rachi, avant même qu’il y ait la parole il faut qu’il y ait l’appel; et cet appel est un signe d’amour. Il marque la bienveillance que Dieu témoigne à Moïse. Moïse est capable de comprendre la parole de Dieu. Le langage entre Dieu et Moïse est un langage de relation intime, un langage d’amour.

De la part de Rachi, il s’agit également d’une allusion à ce qui se passe entre les anges, à ce qui est relaté dans la Kédoucha (קְדֻשָּׁה), cette partie de la Amida nécessitant le minian, soit un minimum de dix personnes priant ensemble. Dans la Kédoucha nous nous tournons les uns vers les autres et de cette manière nous nous interpellons d’un même langage. L’autre peut alors nous amener à envisager le changement dans notre vie.

En hébreu le même mot traduit « lecture » et « appel ». C’est ainsi que lorsque nous lisons le Chéma Israël, nous appelons le Chéma Israël. Quand nous lisons la Torah, nous appelons la Torah et nous sommes interpellés par ce texte.

Maïmonide fait le lien entre le langage de l’appel et celui de l’enseignement dans « Le Guide des égarés », en particulier de l’enseignement des offrandes (korbanot) et des sacrifices. À noter que l’ensemble de cet enseignement se trouve dans le Lévitique.

Vayikra 1:3. « Si son offrande (korban) est un holocauste pris dans le gros bétail, se sera un mâle en parfait état. Il le présentera de son plein gré devant l’Éternel, au seuil de la tente de réunion. »

Korban/קרבן, au pluriel korbanot/קרבנות, a pour racine karov/קרב qui veut dire « approcher, apporter ». Korban, improprement traduit par « sacrifice », signifie « offrande rituelle ».

L’Éternel exigeait que les enfants d’Israël se rapprochent des Cohanim à travers les korbanot.

À l’époque du Temple, il existait divers types de korbanot. Il s’agissait le plus souvent d’animaux de petit ou de gros bétail qui étaient abattus rituellement, cuits au feu et consommés par les personnes qui les avaient apportés, à l’exception des parts qui revenaient de droit aux Cohanim et de ce qui était interdit à la consommation (sang, graisse…). À défaut de bovin, de mouton ou de chèvre, il était possible d’apporter au Temple des tourterelles, des pigeons, du pain non levé ou les prémices de la récolte.

Maïmonide nous dit aussi que les enfants d’Israël ont besoin d’exprimer leur relation à Dieu à l’aide d’éléments concrets et matériels. Sinon, ils risquent de se tourner vers l’idolâtrie, comme cela a été le cas lors de la faute du veau d’or. Il a donc été nécessaire de matérialiser le culte au moyen du Sanctuaire et des korbanot.

Revenons au terme « sacrifice ». Comme nous l’avons dit « korbanot » ne veut pas dire « sacrifice ». Sacrifier signifie étymologiquement « rendre sacré », mais souvent ce mot renvoi à un type de dévouement qui implique l’oubli de soi, l’abandon de ses propres besoins. En ce sens, se sacrifier, c’est s’éloigner. Quand nous nous sacrifions pour l’autre, des attentes non exprimées perturbent nos relations avec l’autre et nous éloignent de lui.

Korban signifie le contraire puisque sa racine karov/קרב se traduit par « approcher ». Une offrande, un korban, nous permet de nous rapprocher de nous-même, et peut-être de nous rapprocher de Dieu.

En fait, Maïmonide nous dit que Dieu s’adresse aux êtres humains dans leur langage, en tenant compte de l’époque de leur existence; et l’époque des korbanot, au sens d’offrandes, est maintenant dépassée.

Moïse Nahmanide, rabbin du XIIIᵉ siècle, pense autrement. Pousser les gens à apporter des offrandes dans un sanctuaire pour se racheter n’est pas la bonne méthode. Il vaut mieux qu’un maître du culte aide ces personnes, au cas par cas, à mesurer l’étendue de leurs fautes et à les dépasser.

Alors, comment éviter de nous sacrifier et d’espérer vainement la récompense de notre sacrifice? 

Éviter de nous sacrifier c’est voir le korban autrement qu’une offrande, l’appréhender sous la forme d’un rapprochement. Cette manière de traiter la question est celle qui a cours aujourd’hui. La démarche de rapprochement est soit individuelle, soit collective.

La démarche individuelle :

Le korban est l’acte de nous rapprocher du Rabbin, qui a succédé au Cohen, pour lui exprimer nos difficultés et lui demander de nous aider à les traiter de façon positive et constructive. Si les difficultés sont des fautes, ce rapprochement devient l’équivalent d’un korban de réparation.

La démarche collective :

C’est une démarche de rapprochement dans le lieu de culte, une démarche de prière, de réflexion et de recueillement collectifs. Avec le Rabbin nous abordons l’Avodat Halev, la prière du cœur. Nous récitons la Kédoucha en nous interpellant les uns les autres, d’un même langage, en essayant de saisir au vol un quelconque message précieux.

La récompense du rapprochement, c’est le bonheur immédiat qu’il apporte aux deux parties, et c’est à cette récompense que nous souhaitons accéder dans notre investissement communautaire, amical et familial.

Paracha Ki Tissa : comment triompher de la colère ?

D’après le dictionnaire Larousse, la colère est un « état affectif violent et passager, résultant du sentiment d’une agression, d’un désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions brutales. »

Voyons plus loin. La colère est le résultat de l’interaction entre un désir et un événement contraire à ce désir, souvent brusque et inattendu. C’est la perception de cet événement contraire qui déclenche la colère.

La personne sujette à la colère perd temporairement le sens des réalités. Elle exige que son désir soit satisfait immédiatement ou dans les plus brefs délais.

Nous parlons de la colère à l’échelle humaine. Cependant la paracha Ki Tissa nous amène sur un tout autre terrain, celui de la colère divine. Nous nous sentons un peu désarmés pour la commenter et donner un avis sur la façon d’en triompher. La colère divine est-elle comparable à la colère humaine ?

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Ki Tissa du sefer Chémot (Éxode) 30:11 à 34:35 et la colère divine

La colère est un état affectif problématique pour les colériques, comme pour leurs victimes. La paracha Ki Tissa, au cours de laquelle s’entremêlent la colère divine et la colère humaine, nous en fait la démonstration.

Qu’est-ce-que la colère divine ? Nous avons souvent le défaut de voir Dieu à l’image de l’homme, de faire de l’anthropomorphisme. Dieu peut-il réellement céder à la colère ? Colère, est-ce le mot juste à employer en ce qui concerne l’Éternel ?

L’expression « colère divine » n’a aucun sens au premier degré, si l’on se réfère à ce que représente Dieu dans le Judaïsme : une entité créatrice et maîtresse de l’univers, hors de portée de l’être humain. Et pourtant le personnage divin de la Torah se met réellement en colère, cette colère de Dieu est destructrice, et comme le dira Yeshayahou Leibowitz (1903-1994) :  Le don des Dix Commandements est au départ un échec total.

Toutefois, souvenons-nous que le texte de la Torah n’est pas à appréhender au sens propre des termes employés. Il délivre indirectement des messages à notre réflexion.

Revenons à la paracha. L’Éternel a accompli de fabuleux miracles pour que les enfants d’Israël retrouvent la liberté. Il vient de leur révéler les Dix Commandements et s’aperçoit, presque aussitôt, qu’ils n’en ont tenu aucun compte et qu’ils ont entraîné Aaron sur le terrain de l’idolâtrie en lui demandant de façonner un veau d’or.

Chémot 32:1 à 32:6. Le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’attroupa autour d’Aaron et lui dit: « Lève-toi et fais-nous un dieu qui marche à notre tête »…Aaron leur répondit: « Détachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et apportez-les-moi »…Aaron ayant reçu cet or de leurs mains, le fit fondre en moule et en fit un veau de métal; et ils dirent: « Voilà ton Dieu, ô Israël, qui t’a fait sortir du pays d’Égypte ! »…Aaron érigea devant lui un autel et il proclama: « Demain il y aura une fête pour Dieu ! »…Ils s’empressèrent, dès le lendemain, d’offrir des holocaustes et de présenter des sacrifices de communion. Après cela, le peuple se mit à manger et à boire puis se livra à des réjouissances.

Cette vision provoque la colère de Dieu; colère qui se manifeste en plusieurs étapes.

D’abord, l’accusation brutale :

Chémot 32:7. Alors l’Éternel dit à Moïse: « Va ! Descends, car ton peuple, que tu as fait sortir du pays d’Égypte, agit d’une manière désastreuse. »

Ensuite, le jugement et l’argumentation :

Chémot 32:8. « Ils se sont rapidement écartés de la voie que je leur avais prescrite. Ils se sont fait un veau de métal et se prosternent devant lui. Ils lui sacrifient et disent: ‘Voilà ton dieu, ô Israël, qui t’a fait sortir du pays d’Égypte !’ »

Puis, la critique acerbe du peuple d’Israël :

Chémot 32:9. L’Éternel dit ensuite à Moïse: « Je vois que ce peuple est un peuple à la nuque raide. »

Et enfin, une menace qui pourrait sembler rageuse (le texte écrit ne permet pas de connaître la tonalité de voix des personnages, le qualificatif de « rageux » est donc une supposition) :

Chémot 32:10. Maintenant, laisse-moi faire, laisse s’allumer contre eux ma colère, et que je les anéantisse tandis que je ferai de toi une grande nation ! »

Nous découvrons la gradation de la colère divine; gradation qui suit les paliers de la colère humaine. Se pose maintenant une grave question : comment faire retomber cette colère très problématique, puisqu’elle menace l’Alliance entre Dieu et le peuple élu ?

Moïse a le choix : laisser la colère divine prendre le dessus, ou bien tenter de la contrer. Il décide d’intervenir et de s’interposer en tant que médiateur. Ce qui montre l’influence légendaire de Moïse sur l’Éternel et ses qualités hors du commun.

Quand Dieu lui dit « laisse-moi faire », nous avons l’impression d’assister à une discussion entre deux associés, entre deux êtres humains. L’expression « laisse-moi faire » indique que Dieu n’est pas convaincu de devoir détruire son peuple et cherche une échappatoire. Dieu fait-il en réalité appel à Moïse pour tester ses qualités de « défenseur d’Israël » ?

Moïse s’emploie alors à triompher de la colère de Dieu. Peu-importe qu’elle soit éventuellement calculée.

Chémot 32:11 à 32:13. Et Moïse demanda à l’Éternel son Dieu: « Pourquoi, Seigneur, ton courroux menace-t-il ton peuple, que tu as tiré du pays d’Égypte avec une grande force et d’une main puissante?…Faut-il que les Égyptiens disent: ‘C’est avec une mauvaise intention qu’il les a fait sortir, pour les faire mourir dans les montagnes et les anéantir de la surface de la terre !’ Reviens de ta colère ardente et aie regret du mal contre ton peuple…Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, à qui tu as juré par toi-même en leur disant: Je ferai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel; et tout ce pays que j’ai désigné, je le donnerai à votre postérité, qui le possédera à jamais ! »

Les versets précédents nous montrent Moïse pratiquant une tactique adroite, commentée dans le Traité Avodah Zarah du Talmud.

Moïse a commencé par s’étonner de voir l’Éternel céder à la colère, à une pulsion affective qui n’est pas de son niveau et qui le rabaisse. Ensuite, il a joué sur la fibre de l’orgueil en faisant allusion à ce que pourraient en dire les égyptiens. C’est presque amusant quand on sait que Moïse s’adresse à Dieu. Puis, c’est l’appel à la raison, à la congruence et aux bons sentiments, quand Moïse rappelle à l’Éternel les promesses faites aux Patriarches hébreux.

Moïse veut que Dieu permette aux enfants d’Israël de se racheter; et Dieu n’est pas insensible à sa plaidoirie.

Chémot 32:14. Alors, l‘Éternel eut regret du malheur qu’il avait voulu infliger à son peuple.

Moïse descend du Mont Sinaï et constate les faits. À son tour, il est saisi d’un courroux terrible envers Aaron et le peuple. Il prend des mesures énergiques, puis il met son engagement personnel en jeu afin de stopper complètement la colère divine.

Chémot 32:31 à 32:32. Moïse retourna vers l’Éternel et dit: « Hélas, ce peuple est coupable d’un grand péché en ce qu’ils se sont fait un dieu d’or…Et pourtant, si tu voulais pardonner leur péché… Sinon efface-moi du livre que tu as écrit. »

Moïse obtiendra finalement satisfaction. Ainsi, il a triomphé de la colère de Dieu et triomphé, lui-même, de sa propre colère. Comme il est dit dans les Pirkei Avot : « le héros est celui qui réussit à conquérir ses pulsions et à conquérir son instinct. »

Retenons que l’idolâtrie des enfants d’Israël, se prosternant devant le veau d’or, a failli dériver vers un autre type d’idolâtrie, l’idolâtrie de la colère.

Nous avons dit, en introduction, qu’il paraît difficile de comparer la colère divine à la colère humaine. Cependant, dans notre paracha, la colère du dieu de la Torah semble avoir été calquée sur la colère humaine.

De la sorte, la paracha Ki Tissa peut servir de support d’analyse de la colère humaine et de support de réflexion sur la façon d’en triompher. N’oublions pas que la Torah a été écrite par un, ou plusieurs, êtres humains.