Les religions et le sens de la vie, conférence interreligieuse féminine!

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Amalgame – Intervention de Mano Siri à Ganénou le 8 février

Nous sommes partis de 2 occurrences :

1- faire l’amalgame entre islam et islamisme à partir d’un point de référence externe le terrorisme qui se revendique de l’Islam

2- « faire l’amalgame », c’est à dire mettre au même niveau des attentats meurtriers (exemple; Mehra, Hypercacher, Bruxelles) et des agressions qui marquent une hostilité envers … (Par exemple tous les incidents qui visent délibérément les lieux de culte musulman)

Exercice difficile, que de définir précisément l’amalgame, qui, si l’on s’en tient à la définition lexicologique et étymologique du dictionnaire Larousse désigne un mélange d’éléments hétérogènes, et vient du latin médiéval des alchimistes amalgama, de l’arabe ‘amal al-djamā, fusion, union charnelle.

Rappel utile et qui n’est pas dépourvu d’une forme d’intérêt presque « ironique ».

Il y a, nous le retiendrons, l’idée d’un mélange, d’éléments qui a priori ne sont pas semblables, qui sont même dans un total rapport d’altérité, pour les fusionner.

Mais revenons à nos deux premières occurrences :

Dans un cas (1) l’amalgame consiste à assimiler une chose à une autre, c’est à dire à faire comme si l’Islam se confondait avec et donc était identique à l’islamisme. Mais derrière cette idée, se pose aussi la question suivante : l’islam et l’islamisme sont-ils des éléments radicalement hétérogènes ? Autrement dit est-il totalement illégitime de « faire cet amalgame » qui n’en est peut-être pas un au sens premier…

Le but :

 » ‘essentialiser’, définir l’Islam à partir de l’islamisme et donc en tirer l’idée ou plutôt le slogan tous les musulmans sont des islamistes et donc potentiellement des terroristes ou des djihadistes

 » faire coller ensemble les musulmans avec les islamistes : par exemple si tous les musulmans sont systématiquement traités comme s’ils étaient des islamistes voire des terroristes en puissance, il est possible que beaucoup de musulmans finissent par s’identifier à cette image qu’on leur colle dessus. Processus d’identification

Donc le slogan « Pas d’amalgame ! » entendu dès le soir du 7 janvier est un appel à la distinction et à la retenue., une porte ouverte pour que les réformateurs de l’Islam – ils s’avèrent être assez nombreux à faire leur coming out ces temps-ci – puissent à la fois pointer des problèmes et établir des distinctions entre l’Islam et sa forme radicalisée, l’islamisme.

Dans l’autre cas (2) l’amalgame consiste aussi à mettre au même niveau des choses, en l’occurrence des actes qui juridiquement et pénalement sont hétérogènes même si les deuxièmes peuvent conduire aux premiers.

En effet les attentats meurtriers commis par Mehra, Coulibali (Hypercacher) ou au Musée juif de Bruxelles avait pour but unique de tuer et en l’occurrence de tuer un maximum de juifs parce qu’il étaient juifs, c’est tout. Alors que les agressions ou les dégradations visant des lieux de culte musulmans n’ont pas (pour le moment[1]) de finalité meurtrière mais visent à harceler, provoquer des musulmans en espérant une réponse qui mettrait le feu aux poudres et déclencherait une réaction en chaine.

Donc faire l’amalgame entre les attentats antisémites et les agressions anti-musulmanes cela revient à dire soit :

  1. C’est la même chose de harceler ou de provoquer des musulmans parce qu’ils sont musulmans que de tuer des juifs (c’est aussi grave)

Ou :

  1. C’est pas plus grave de tuer des juifs que de harceler des musulmans (finalement le meurtre de juifs ne serait pas aussi grave)

Donc ici faire cet amalgame cela revient à minimiser ou à surestimer l’un ou l’autre : absence de distinction propre à l’amalgame.

Reste une 3ème occurrence qui est apparue dans la discussion, et qui n’est pas négligeable car elle est constitutive d’une série « d’incidents » apparus de façon récurrente dans les écoles, collèges et lycées au lendemain du 1er attentat, celui du 7 janvier.

L’amalgame fait presque « systématiquement » et dénoncé au nom du « deux poids, deux mesures », entre le « droit au blasphème » dont aurait bénéficié les dessinateurs assassinés de Charlie Hebdo et le « droit au négationnisme ou à l’antisémitisme » qui est contesté à Dieudonné au nom de la loi. Pour beaucoup de jeunes c’est la même chose : si Charlie Hebdo peut se moquer de l’Islam par des caricatures du Prophète, alors ils ne voient pas de raison pour laquelle on ne pourrait pas rire de la Shoah.

Il y a cependant une énorme différence qu’on peut souligner, en dehors du rappel utile à la loi de 1972. La Shoah désigne le meurtre de 6 Millions de juifs, parce que juifs, au nom précisément de cet antisémitisme qui n’est pas une opinion mais bien un appel au passage à l’acte ; les caricatures du Prophète n’ont entrainé la mort que de ceux qui les avaient dessinées. Elles ne tuent ni n’appellent à tuer aucun musulman.

Mano Siri

[1] Il faut néanmoins aujourd’hui apporter une précision : 3 jeunes musulmans ont été assassinés ces jours derniers aux USA, au motif apparemment qu’ils étaient musulmans justement – enquête en cours

Blasphèmes, Péchés, Crimes et Délits par Mano Siri

Voici les définitions qui étaient à la base de notre atelier de dimanche dernier. Définir les mots permet de recadrer sans violence, de recadrer en fonction d’éléments objectifs. Vous trouverez ici le texte préparé par notre intervenante comme base de la discussion. Pour un petit résumé de nos discussions, voir https://poursurmelin.wordpress.com/2015/01/25/interconvictionnel-surmelin/.

Blasphèmes, Péchés, Crimes et Délits par Mano Siri

Quatre notions qui ont en commun de renvoyer à l’idée de « faute » mais que tout sépare ou rapproche selon le système de valeur auquel on se réfère.
Ainsi en est-il par exemple du blasphème.

Qu’est-ce qu’un blasphème ?
Voilà ce que l’on trouve dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert :
BLASPHEME, s. m. se dit en général de tout discours ou écrit injurieux à la Majesté divine : mais dans l’usage ordinaire, on entend plus spécialement par blasphèmes, les jurements ou impiétés contre le saint nom de Dieu, proférés de vive-voix.
Les Théologiens disent que le blasphème consiste à attribuer à Dieu quelque qualité qui ne lui convient pas, ou à lui ôter quelqu’attribut qui lui convient. Selon saint Augustin toute parole mauvaise, c’est-à-dire, injurieuse à Dieu, est un blasphème : Jam verò blasphemia non accipitur nisi mala verba de Deo dicere. De morib. Manich. lib. II. cap. xj. Ainsi ce serait un blasphème, que de dire que Dieu est injuste & cruel parce qu’il punit le péché originel dans les enfants qui meurent sans baptême. Le blasphème est une suite ordinaire de l’hérésie : puisque celui qui croit mal, parle indignement de Dieu & des mystères qu’il méprise. C’est ce qui s’appelle proprement blasphème.

On a donc là une piste qui met clairement le blasphème du côté du péché, et pas n’importe lequel, le péché qui touche à la question même de Dieu : le blasphème n’est donc pas un simple péché mais un péché contre Dieu ; de plus, et c’est peut-être là l’ambiguïté attachée à cette notion il est aussi une atteinte au dogme, à l’orthodoxie qui énonce ce qu’il faut croire et savoir concernant Dieu et, pour parler comme les chrétiens (puisque l’article ici cité de l’Encyclopédie avait été rédigé par un abbé) contre les mystères de la foi.
Bref le blasphémateur est :
– un pécheur
– un hérétique
– un incroyant

Il pèche contre l’esprit pourrait-on dire : la possibilité qu’existe un délit de blasphème implique donc par conséquent une remise en cause radicale des articles 10 et 11 de la DDHC qui stipulent que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que celles-ci ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi », et « la Libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas réprimés par la Loi ». La DDH (1948) précise dans son article 18 que « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ».

On comprend donc qu’instituer ou laisser entendre qu’il y aurait un « délit de blasphème » laisserait supposer que la loi qui régit la société, la loi politique donc, serait une loi venant de Dieu ou instituée par Dieu et non pas une loi conçue, écrite et promulguée par des hommes en fonction de normes de vie communes – n’intéressant pas le divin – qu’ils se seraient donnés pour pouvoir vivre en paix et en sécurité.
La question de savoir si le blasphème relève du crime, du délit, du non-lieu ou du droit est donc un indicateur du rapport institutionnalisé ou non qu’une société politique établit ou au contraire récuse avec le théologique.
Le propre des sociétés laïques et des Etats de droit est justement de neutraliser le théologique et de le sortir du politique : le blasphème ne saurait y être un délit, encore moins un crime ; il est donc a minima permis (puisqu’il n’est pas interdit) : il peut également constituer un droit au sens où il peut y avoir un droit au blasphème, c’est à dire un droit à l’impiété et à l’hérésie.

Pourquoi beaucoup de musulmans, j’entends par là surtout ceux qui pratiquent ou ont le désir de pratiquer un islam paisible, se sentent-ils néanmoins « agressés », « injuriés », « humiliés » par ce qu’on appelle communément les caricatures de Charlie Hebdo, qu’ils jugent blasphématoires ?
Car ce qui est intéressant ici c’est qu’ils se sentent atteints personnellement par ces caricatures qui mettent en scène le Prophète et le Coran en s’en moquant, mais ne les désigne pas et ne les attaque pas en tant que personnes.
Pourquoi, en d’autres termes, se sentent-ils aussi agressés que nous pourrions l’être quand nous avons affaire à une caricature antisémite c’est à dire à une représentation reprenant systématiquement et intentionnellement (ou non) des traits physiques ou moraux attribués par les antisémites aux Juifs ?
Parce que c’est un fait que les caricatures de Charlie Hebdo les choque et les blesse, pour la plupart.
Comment penser, recevoir et répondre à ce « fait têtu » de la réalité ?

Mano Siri