Paracha Ki Tavo : la générosité, un facteur de succès ?

Quelles sont les clés du succès ? Question majeure que se posent de nombreux entrepreneurs, consultants, psychologues…Pour certains, ce sont d’abord la volonté, la confiance en soi et la persévérance, pour d’autres, c’est plutôt la compétence associée au goût du risque.

L’ouverture aux autres, la générosité et la reconnaissance ne sont pas souvent citées comme facteurs de succès. Encore moins la spiritualité et l’espérance, en ce qu’elles peuvent nous guider dans nos actions, nous rassurer et nous dynamiser.

La paracha Ki Tavo nous pousse à nous concentrer sur ce sujet.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Ki Tavo du sefer Devarim (le Deutéronome) 26:1 à 29:8

Devarim 26:1. « Quand tu seras enfin arrivé dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne en héritage… »

L’objectif sera très bientôt atteint. Sans aucun doute, la terre promise, si longtemps espérée, sera conquise. C’est ce que Moïse annonce aux enfants d’Israël. Après des générations de patriarcat et de matriarcat difficiles et conflictuels, après des années d’esclavage, après 40 ans de pérégrinations dans le désert, les enfants d’Israël vont enfin pouvoir s’installer en terre de Canaan.

Moïse présente ce succès d’une façon tout à fait singulière. Il le présente sous la forme d’une injonction non applicable dans l’immédiat. On remarque qu’il s’exprime comme s’il était sûr de l’avenir; ce qui est bien davantage persuasif que de dire : vous allez réussir ! Moïse cherche-t-il à préparer son peuple au succès ? Cette façon de procéder nous conduit à nous interroger sur l’état d’esprit des enfants d’Israël à ce moment là, et aussi à nous interroger sur nous-mêmes en pareilles circonstances.

Quand nous sentons le succès tout proche, quand l’espoir de la réussite est presque comblé, nous nous trouvons dans un état d’esprit hors du commun. Nous sommes anxieux et nous nous posons des questions un peu saugrenues. Ne rêvons-nous pas ? Qui pourrait nous convaincre ? Serons-nous à la hauteur de ce succès tant attendu ? Sommes-nous prêts à affronter ce succès, à l’investir émotionnellement, à en assumer toutes les conséquences ?

Moïse annonce donc l’événement en édictant une injonction, une loi, aux enfants d’Israël :

Devarim 26:1 à 26:2. « Quand tu seras arrivé enfin dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne en héritage, quand tu en auras pris possession et y seras établi, tu prendras des prémices de tous les fruits de la terre, récoltés par toi dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, t’aura donné, tu les mettras dans une corbeille, et tu te rendras à l’endroit que l’Éternel, ton Dieu, aura choisi pour y faire régner son nom. »

Le succès arrivé, les enfants d’Israël devront, avant toute autre démarche, exprimer leur générosité et leur reconnaissance envers Dieu en apportant les prémices de leur récolte au Temple. Ces prémices seront données en partage à ceux qui resteront dépourvus, les Lévites, l’étranger, l’orphelin, la veuve et les plus démunis.

L’injonction de l’Éternel à la générosité et à la reconnaissance, par l’intermédiaire de Moïse, est une démarche remarquable. En contraignant à l’avance les enfants d’Israël au partage, l’Éternel les prépare a la réussite et comble leur espoir de façon indirecte. Il les stimule ainsi dans leurs actes. La générosité et la reconnaissance deviennent des facteurs de succès. Les enfants d’Israël sont dès à présent  responsables de ce qu’ils vont obtenir et comprennent qu’ils devront en assumer les conséquences. En retour, ils savent qu’ils pourront jouir pleinement de leur succès.

L’injonction de reconnaissance, implique le souvenir du passé aux enfants d’Israël. Elle les soumet à l’humilité.

Devarim 26:5 à 26:6. « Et tu diras à haute voix devant l’Éternel, ton Dieu: mon père était un araméen errant. Et il descendit en Egypte, y vécut en étranger, d’abord en très petit nombre, puis il devint là une nation considérable, puissante et nombreuse. Alors les Égyptiens nous maltraitèrent, nous opprimèrent et nous imposèrent un dur esclavage. »

Ces versets de la paracha sont repris par la haggada de PessaH.

Notre paracha délivre un protocole à suivre et des recommandations :

Dès que nous atteignons la réussite, nous devons nous présenter devant le Cohen (le Cohen de notre temps, bien-sûr) remercier l’Éternel en le remerciant, lui manifester notre générosité et l’assurer que nous partagerons le fruit de notre succès avec les plus démunis.

Alors seulement, nous pourrons dire, comme l’ont fait les enfants d’Israël après s’être acquittés de leurs devoirs :

Devarim 26:14 à 26:15. « …docile à la voix de l’Éternel, mon Dieu, je me suis entièrement conformé à tes prescriptions… Regarde du haut des cieux, ta sainte demeure, et bénis ton peuple Israël et la terre que tu nous as donnée, comme tu l’as juré à nos pères… »

Recommandation à retenir : avant de demander, nous devons d’abord donner.

La spiritualité nous a guidés sur le chemin de la réussite. La générosité et la reconnaissance, véritables facteurs de succès, nous ont permis de prendre conscience du chemin parcouru et de toute la valeur de notre réussite.

Par ailleurs, quand nous aurons à encourager nos proches, ou à nous encourager nous-mêmes, il sera nécessaire de conforter leur espoir de réussite, ou le nôtre. L’espoir, lui aussi, est un facteur de succès majeur !

S’adresser à la réalité

D’un côté il y a nos désirs, nos espoirs, nos aspirations, notre vision d’un monde idéal. De l’autre il y a la réalité, le monde concret, le désir des autres, les difficultés et le monde tel qu’il est.

Comment gérer cette dichotomie ?

En tant qu’humains, nous avons différentes possibilités de réagir. Parfois, l’écart entre les deux explose en colère, parfois, il se désinvestit en dépression, parfois, nous choisissons de vivre dans notre idéal abstrait et de nous détacher du réel, parfois nous sommes aspirés par le réel et oublions nos autres ambitions.

Qu’attendons-nous d’une spiritualité ou d’une religion ?

Si nous écoutons les pensées religieuses qui nous entourent, nous voyons qu’elles insistent sur l’idéal, le monde futur, la perfection ou la toute puissance des héros. Si nous préférons nous référer à Descartes, nous entendons que « l’âme par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps », le monde des idées est distinct de l’expérience.

 

Le christianisme comme le cartésianisme ont forgé la pensée occidentale, et il n’est pas simple pour nous, en tant que juifs, de rester en phase avec la vision de notre tradition, qui se démarque nettement des positions précédentes.

La Torah évoque de façon crue et directe les abus auxquels la nature humaine peut parfois nous pousser, et parfois, nous sommes choqués. Si nous attendons de notre tradition spirituelle qu’elle nous emmène dans le monde éthéré de la pensée juste, nous sommes perturbés.

Mais tel n’est pas le but que se fixe la Torah, le rendez-vous auquel elle nous invite est différent. Elle est une règle de vie qui s’adresse à nos problèmes réels, à ceux d’un « animal doué de raison » pour citer Aristote, doué d’une raison, et doué également d’une animalité. La Torah ne nous fait pas de cadeau et nous met face à cette animalité, nous demande de l’intégrer, « tu aimeras l’Eternel ton Dieu de TOUT ton cœur – BéHol LévavéHa. Le midrach enseigne : LévavéHa avec deux beit, pour symboliser deux choses : ce qui nous pousse au meilleur comme ce qui nous pousse au pire. Ceux qui ont lu la paracha de la semaine dernière, Ki Tétsé, ou celle de cette semaine, Ki Tavo, comprennent à quels passages je fais allusion.

Nous ne vivons pas dans un monde de tulle rose et d’anges chanteurs.

Lorsque la Torah, cette semaine, nous décrit ce qu’il y a de pire en l’homme, elle nous parle de nous, même si nous préférerions peut-être nous détourner de ces vérités.

Hier, Human Rights Watch a publié sur son site un rapport concernant l’exploitation sexuelle des femmes en Somalie par les soldats de la Mission d’Union Africaine. Chabbat dernier, nous lisions les mesures à prendre si un soldat hébreu venait à éprouver des pulsions incontrôlables pour une prisonnière. Rachi nous expliquait l’évidence : La Torah exprime toutes ces mesures pour lutter contre la pulsion de domination. Le message antique est d’une actualité saisissante.

Il nous faut du courage pour faire face à la Torah, du courage pour faire face à nos défauts et à ceux de nos proches, et aussi pour admettre les grandes injustices du monde souvent liées à nos incapacités.

Mais ce courage est la condition pour accepter nos limites sans renoncer à créer un monde meilleur.

Et dans cette difficile tache, la Torah et des siècles de commentaires se tiennent à nos côtés.

Nous avons également le soutien des pratiques et des liturgies des fêtes de Tichri qui approchent.

Chavoua Tov

 

Prochain cours :                                   mardi 16 septembre – Surmelin 20h

Thème :                                                   Préparation aux fêtes de Tichri

Etude de la Sougia Yoma 87a choisie par Lévinas dans sa première leçon talmudique.

 

Pour télécharger la feuille de sources, cliquez ici.