Paracha AHaré Mot : la justice divine est-elle aveugle ?

La justice est une des valeurs capitales du Judaïsme et il en a été ainsi de tout temps.

Il en est fait mention, pour la première fois, dans les lois NoaHides dont l’une d’elles stipule l’obligation d’établir des institutions judiciaires au sein de la communauté.

Les enfants d’Israël ne conçoivent pas un monde dépourvu de justice. Ils attendent de l’Eternel la révélation permanente des voies à emprunter pour l’établir.

Le Judaïsme fait de la justice, à son origine, un attribut de Dieu. La notion de justice divine est une vérité indéniable. Mais serait-elle aveugle, telle qu’elle est appréhendée par le Judaïsme ?

La lecture de la paracha AHaré Mot nous aidera à répondre à cette question.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha AHaré Mot du sefer Vayikra (Lévitique) 16:1 à 18:30 et la justice divine.

Au risque de surprendre, nous affirmons que la justice est le contraire du hasard. La justice s’oppose effectivement aux aléas du hasard.

La paracha AHaré Mot nous montre le Grand Prêtre désigner, de façon totalement aléatoire, lequel des deux boucs, choisis dans le cheptel, ira à Azazel en portant le fardeau des fautes des enfants d’Israël et lequel sera offert à l’Eternel en sacrifice. Le bouc, chargé d’emporter les fautes au loin, est nommé le bouc émissaire (de là, l’origine de l’expression courante).

Vayikra 16:7 à 16:10. « Et il [Aaron] devra  prendre les deux boucs et les présenter devant l’Eternel, à l’entrée de la Tente d’assignation…Et Aaron tirera au sort pour les deux boucs: l’un sera pour l’Éternel, l’autre pour Azazel…Aaron devra prendre le bouc que le sort aura désigné pour l’Éternel, et le traiter comme une offrande expiatoire…Et le bouc que le sort aura désigné pour Azazel devra être placé, vivant, devant l’Eternel pour servir à la propitiation et être envoyé à Azazel dans le désert. »

Comment comprendre l’intrusion du hasard dans la tradition juive ?

Le hasard est au cœur de la fête de Pourim. Aman jette des sorts (« pour », en hébreu, d’où le terme « pourim ») dans le but de déterminer le jour de l’extermination des Juifs. Le sort, lié au hasard, est une notion néfaste dans la tradition juive.

Par ailleurs, les fêtes de Pourim et de Yom Kipour ont en commun le mot « pour ». Selon le Talmud, l’expression « Yom Kipour » dérive de « yom ké pourim », « un jour comme pourim »; ce qui indique une parenté entre les deux fêtes.

Le tirage au sort de Aaron n’a, en fait, rien à voir avec celui de Aman, mais notre paracha délivre un message beaucoup plus important. L’acte aléatoire, pratiqué par le Grand Prêtre Aaron, met en lumière la nécessité de devoir se mettre au dessus des aléas de l’existence, afin de ne pas les subir.

De façon naturelle, la vie est porteuse d’aléas. Devons-nous nous y adapter, ou devons nous les contrer ? La meilleure façon de contrer ces aléas et d’établir la justice et de la faire respecter.

Remarquons que des extraits de notre paracha sont lus durant Yom Kipour, le moment de l’année où nous nous retrouvons face à notre destin. Cette lecture a deux objectifs : la prise de conscience des aléas de la vie et la nécessité de s’en prémunir par la justice.

La justice n’est pas naturelle sur Terre. Dieu l’a fait savoir à l’humanité en lui demandant de l’instituer. L’être humain ne peut juger autrui par lui-même, en son fort intérieur. Il doit établir des lois équitables, valables pour tous.

L’établissement d’une loi est l’objet d’une intense réflexion collective, empreinte de sagesse. Il ne doit pas faire cas des tendances affectives et doit compenser les dérives aléatoires de la nature. La nature, livrée à elle même, s’oriente en général vers le désordre.

« Justice » se dit « tsedek » en hébreu. Et tsedek nous fait penser à tsedaka/צדקה (aumône ou charité). Pratiquer la tsedaka est une façon de contrer l’aléa de défaut de ressources financières qui nous concerne tous.

La justice humaine, d’essence divine puisqu’elle répond à un commandement de l’Eternel, nous demande de compenser l’aléa des ressources économiques par la tsedaka, à défaut d’autre moyen prévu à cet effet par la société.

La progression des sciences médicales va dans le sens de la justice, puisqu’elle vise à compenser l’aléa de l’état de santé. Il en est de même de la politique quand elle défie les aléas de la vie en société.

La justice divine est-elle aveugle ? A nous d’en décider. Dieu a initié la justice. A nous de mettre en place les moyens rationnels nécessaires à sa pratique et à son respect. Nous en sommes responsables. Ne vivons pas comme les autres créatures biologiques, plantes, animaux, micro-organismes, qui demeurent à la merci des aléas de la nature terrestre, eux-mêmes dépendants des aléas de l’univers.

Paracha Vayakel : faut-il parfois s’écarter pour mieux se voir ?

La paracha Vayakel est la paracha du rassemblement. Voyons dans quel contexte elle se situe, pour bien la comprendre.

Moïse a repris son peuple en main après la faute du veau d’or. Les Tables de la Loi ont été gravées une seconde fois en haut du Mont Sinaï, mais cette fois-ci de façon définitive.

Le Tabernacle, le Michkan, est totalement conçu. Il faut, à présent, confectionner les pièces qui le composent et les assembler.

Le Grand Prêtre et ses assistants, désignés par l’Éternel, sont sur le point d’entrer en action. Le rituel, ainsi que les tenues qu’ils devront porter, ont été clairement définis.

Ainsi, les enfants d’Israël se rassemblent pour entrer dans la phase active de constitution du peuple Juif et de la religion juive.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vayakel du sefer Chémot (Éxode) 35:1 à 38:20 et le paradoxe du rassemblement par la séparation

De façon générale, il est agréable et bénéfique d’être à deux, ou en groupe, à condition que chacun ait suffisamment d’espace pour s’épanouir. L’être humain a toujours besoin d’un minimum d’intimité et d’autonomie dans son comportement et sa pensée.

Pourquoi parlons-nous des conditions d’un rassemblement fructueux ?

La réponse est dans la paracha Ki Tissa. Les enfants d’Israël se sont mis à douter. Ils sont partis à la recherche de l’épanouissement et de la cohésion communautaire par le chemin de l’idolâtrie. Ils ont cru les trouver en s’inclinant autour d’un veau de métal.

Ils se sont ainsi écartés brutalement de l’Éternel, leur créateur et leur libérateur. Cependant, Moïse est venu les remettre sur le droit chemin; ceci de façon très énergique, afin de dissiper tous leurs doutes.

C’est cet écart qui leur fait prendre pleinement conscience de leur erreur et leur montre la voie à suivre. Cet écart les pousse, maintenant, à se retrouver tous ensemble dans la construction du judaïsme.

La première étape de cette construction est le respect du Chabbat en commun; le Chabbat qui permet de reprendre des forces, de consacrer du temps à ses proches et de se retrouver soi-même.

Chémot 35:1 à 35:3. Moïse convoqua toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit: « Voici les paroles que l’Éternel a ordonné d’observer…Pendant six jours on pourra travailler, mais le septième jour sera quelque chose de saint, un Chabbat de repos absolu en l’honneur de l’Éternel. Quiconque travaillera ce jour là sera mis à mort…Vous ne devrez allumer aucun feu, en ce jour de repos, dans aucune de vos demeures. »

Immédiatement après, la générosité par le don (teroumah/תְּרוּמָה) et l’investissement personnel deviennent l’objet d’un élan unanime.

L’objectif est la réalisation du Michkan (le Tabernacle), dans toute sa grandeur; le Michkan qui est en lui-même un lieu de rassemblement, de réflexion et de prière ouvert à tous, comme on le dira plus tard à propos du Temple de Jérusalem.

Chémot 35:4 à 35:6. Puis Moïse dit à l’ensemble des enfants d’Israël: « Voici ce que l’Éternel m’a ordonné de vous dire:…‘Prélevez sur vos biens un don pour Dieu. Que toute personne dont le cœur l’y invite apporte sa contribution à l’Éternel: de l’or, de l’argent, du cuivre…et du fil bleu, et de la laine teinte…' »

Tout le monde apporte ce qu’il peut apporter, et après cet élan de générosité sans limite, arrive le moment de mettre un frein à la fourniture d’offrandes.

Chémot 36:4 à 36:7. Tous les artisans qui travaillaient aux diverses parties de la tâche sacrée, revinrent l’un après l’autre de leur travail…et dirent à Moïse: « Le peuple apporte beaucoup plus que ce qu’exige l’ouvrage que l’Éternel a ordonné de faire »…Sur l’ordre de Moïse, on fit circuler dans le camp cet avis: « hommes et femmes n’apportez plus de matériaux pour la sainte contribution. » Et le peuple s’abstint de faire des offrandes…Les matériaux suffirent pour l’exécution de tout l’ouvrage et furent plus que suffisants.

Mission difficile que de dire aux gens du peuple qui donnent, qu’ils donnent trop. Le peuple a besoin de comprendre pour avoir confiance et être généreux. Il a besoin de connaître les objectifs à atteindre et savoir dans quel cadre il évolue.

Ce cadre, que l’on ne désigne pas, est la relation avec Dieu. La présence d’un écran (massaH/מָסָךְ), entre le Saint des Saints et l’assemblée, le laisse deviner.

Chémot 36:37. Ensuite on fit pour l’entrée de la tente un écran protecteur de fil bleu et de laine teinte…

Pourquoi cet écran protecteur, cette séparation ? Sans doute pour apporter de la solennité et engendrer le respect. L’assemblée doit voir, mais ne doit pas tout voir.

Le rapprochement est à faire avec la structure des cabanes de Soukot. Le toit de ces cabanes est une frontière perméable. Ce toit laisse entrer un peu de clarté mais fournit suffisamment d’obscurité pour permettre la contemplation des étoiles dans les cieux. Il permet de voir au dehors, tout en protégeant.

Ce principe de frontière perméable est à rapprocher du principe de liberté encadrée.

Il est à citer en ce qui concerne l’idolâtrie : une idole, telle que le veau d’or, est un leurre qui ne laisse rien voir, qui bloque toute réflexion et toute compréhension, qui est dépourvu, justement, d’une frontière perméable.

Par ailleurs, pendant la fête de Pourim, nous nous amusons à porter des masques pour leurrer les autres, comme le ferait une idole. Nous nous donnons un autre visage pour finalement nous révéler en ôtant nos masques. Nous nous différencions pour mieux nous faire reconnaître. Nous nous écartons de nous-mêmes pour mieux être vus. Le mot masseHa qui signifie masque en hébreu est le qualificatif qui est justement appliqué aux fausses divinités: élohé masséHa: des dieux-masques.

Complétons cette image en parlant d’un élément très important du Temple, la cuve de purification. Dans notre paracha, sont citées des femmes très impatientes qui apportent des miroirs de cuivre, comme offrande, pour réaliser cette cuve.

Chémot 38:8. Puis il fabriqua la cuve en cuivre et son support, de même en cuivre, au moyen des miroirs des femmes qui s’étaient attroupées à l’entrée de la Tente de réunion.

Moïse hésite à accepter cette offrande et interroge l’Éternel. Un miroir n’est-il pas un objet futile de vanité ? Un miroir est-il compatible avec la purification, le retour vers soi-même, avant l’entrée dans le Temple ? Dieu lui répond qu’il approuve totalement l’utilisation des miroirs.

Le Midrach justifie cette approbation ainsi : le miroir permet de se voir à deux. C’est en partie grâce à des miroirs que le peuple d’Israël a pu se renouveler et survivre pendant les années d’esclavage en Égypte. Les femmes allaient rejoindre leurs époux dans les champs. Elles se faisaient admirer en posant à côté d’eux, face à leurs miroirs. De cette façon, elles les (re)séduisaient et parvenaient à éveiller leur désir.

Pour conclure, disons que très souvent, le fait de s’éloigner, de prendre ses distances pour mieux voir et mieux être vu, pour mieux comprendre aussi, permet de se retrouver avec des liens plus forts. Ce qui a été le cas des enfants d’Israël quand ils se sont écartés de l’Éternel pour adorer le veau d’or. Ils ont compris leur erreur après l’avoir commise. Ils se sont alors vite retrouvés et rassemblés autour de Moïse pour repartir sur de bonnes bases.