Paracha Choftim : où trouver la justice ?

Quelle vision objective avons-nous de la justice, en particulier de celle qui a prise sur notre quotidien, la justice sociale ? Difficile de répondre simplement. Cependant, nous sommes très sensibles à ce que nous appelons l’injustice.

Alors que nous entrons aujourd’hui dans le mois de Eloul, nous nous préparons pour Roch Hachana, qui sera le 1e tichri, dans exactement 1 mois. Roch hachana est justement appelé Yom hadin, jour du jugement et pose également la question de la justice.

Pourquoi ressentons-nous un tel besoin de justice ? Comment définir une justice absolue ? Que penser de la justice rendue ? Où trouver une justice qui nous sécurise par la confiance que nous avons en elle ?

La paracha Choftim nous montre Moïse appréhendant le principe de justice, avant l’entrée des enfants d’Israël en terre de Canaan.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La justice dans la Torah avec la paracha Choftim du sefer Devarim ( Deutéronome 16:18 à 21:9)

« Choftim » signifie « les juges ». « Choftim » a la même racine que « michpat » qui veut dire à la fois « un jugement » et « une phrase ».

La paracha commence par les versets suivants :

Devarim 16:18 à 16:20. « Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l’Éternel, ton Dieu, te donnera, selon chacune de tes tribus; et ils devront juger le peuple selon la justice. Ne fais pas fléchir le droit, n’aie pas égard à la personne, et n’accepte jamais de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher… »

Inspiré par Dieu, Moïse s’adresse au peuple d’Israël. Il lui demande d’instaurer, sitôt arrivé en terre de Canaan, un système judiciaire fiable. Il présente cela comme une nécessité fondamentale. La justice devra être impartiale et inflexible. Le risque de la corruption, qui est toujours présent, est abordé pour y trouver remède.

Pourquoi ce désir d’organisation d’une justice future, alors que le plus important, la conquête de la terre de Canaan, n’a pas encore été réalisé ? Ceci peut nous surprendre. Pour répondre, pensons à l’alliance du peuple d’Israël avec Dieu. Nous sommes, dans notre paracha, dans la continuité des commandements de l’Éternel.

Autre question à se poser : que représente ce besoin de justice sur le plan moral et philosophique ? N’est-il pas ce besoin humain d’harmonie dans un peuple, tel que le souhaitait Jean-Jacques Rousseau avec le « Contrat Social »? Allons plus loin : la paracha parle de juges et de magistrats. Elle nous fait déjà passer de la justice divine à la justice rendue.

Rendre la justice est à la charge des juges, des prêtres et des Lévites qui doivent travailler de façon collaborative :

Devarim 17:8 à 17:10. « Si tu es impuissant à te prononcer sur un cas judiciaire…tu iras trouver les prêtres, les Lévites et le juge siégeant à cette époque. Tu les consulteras, et ils t’éclaireront sur le jugement à prononcer. Et tu agiras selon leur déclaration… »

La Torah crée un rempart contre l’injustice en prévoyant des villes refuge:

Devarim 19:2 à 19:5. « Tu réserveras trois villes…et cela pour que tout meurtrier s’y puisse réfugier. Or, voici dans quel cas le meurtrier en s’y réfugiant aura la vie sauve: s’il a frappé son prochain sans intention, n’ayant pas été son ennemi antérieurement… il pourra alors fuir dans une de ces villes et sauver sa vie. »

Les meurtriers involontaires et non coupables, aux yeux de l’Éternel, pourront trouver refuge sur certains territoires pour échapper à une vengeance injuste.

Justice absolue et justice rendue dans la bible hébraïque 

La justice absolue est la justice divine telle qu’elle nous est énoncée dans la Torah par les paroles de Dieu. Comme nous l’avons déjà indiqué, la justice est rendue en association par les juges, les prêtres et les Lévites.

La Torah fait la distinction entre justice absolue (divine) et justice rendue. Elle a institué la fonction de juge siégeant en son temps, plongé dans le cadre et les aléas du quotidien, tout en restant rattaché aux valeurs fondamentales de justice.

La tradition juive propose deux conceptions de la justice:  La justice absolue, le « din », et la justice bienveillante appelée « raHamim », devant conduire l’être humain à la paix. Les Pirkei Avot rejoignent cette distinction dans leur chap.1, en disant par la bouche de Rabbi Chimon Ben Gamliel : le monde repose sur 3 vertus, la vérité, la justice et la paix.

Une phrase des Psaumes (18:38), en ce sens, est à relever :  » Recherche la paix et poursuis-la ».

La Torah précise que les juges consultés sont « de leur époque ». Ils sont les intermédiaires entre le divin (justice absolue), et l’être humain dans la réalité de son temps (justice rendue).

Notre confiance en la justice d’hier et d’aujourd’hui

Sur ce thème, l’expression de la tradition juive se résume en 2 citations : d’après le Talmud Roch Hachana, il faut se confier à des juges d’aujourd’hui, même si leurs décisions diffèrent parfois de celles du passé. Il faut se refuser de penser que les juges d’antan étaient meilleurs que ceux du temps présent. Et selon Rachi : « il n’y a que le juge qui est dans son temps. »

Le juge du temps n’est pas toujours fiable, mais il est de toute façon le seul à pouvoir traiter des cas de façon efficace. Il nous appartient donc de mettre tout en œuvre pour avoir de bons juges et un bon système judiciaire.

Où trouver une vraie justice, une justice en laquelle nous ayons totalement confiance ? La question se pose dans tous les pays du monde et à toutes les époques. Dans l’exercice de la démocratie, par notre vote et par l’expression de nos opinions, nous devons soutenir le renforcement permanent de la compétence et de l’indépendance des juges.

De même, la construction du judaïsme d’aujourd’hui et de demain exige que nous nous adressions aux rabbins de notre temps, en faisant de notre mieux pour renforcer leur compétence et leur indépendance.

En vous souhaitant de belles réflexions ainsi que « Hodech tov », un bon mois de Eloul.

Paracha Réé : idéalisme ou réalisme ?

Nous projetons des actes, nous les préparons, nous décidons, nous les réalisons le cas échéant, puis nous examinons leurs conséquences et nous assurons que l’objectif visé a été correctement atteint.

Par ailleurs, dans divers domaines, nous nous fixons de grands principes que nous respectons le mieux possible : éducation, mode de vie, travail, moralité…En ce qui concerne ces principes de vie, nous nous posons les mêmes questions.

Nos actes réfléchis et nos grands principes tendent, par hypothèse, vers l’idéal. Quelle est leur part de réalisme en matière de conception et d’application ?

Toutes ces questions, la Torah se les pose assez directement dans la paracha Réé.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Réé du sefer Devarim (11:26 à 16:17)… 

  • en ce qui concerne les grands principes sujets à bénédiction et malédiction :

Réé (רְאֵה) signifie « vois », « regarde », « observe ».

Devarim 11:26 à 11:28. « Voyez! Je mets devant vous, en ce jour, la bénédiction et la malédiction. La bénédiction, quand vous obéirez aux commandements de l’Éternel votre Dieu, que je vous impose aujourd’hui, et la malédiction, si vous n’obéissez pas aux commandements de l’Éternel votre Dieu, si vous quittez la voie que je vous trace aujourd’hui, pour suivre des dieux étrangers, que vous ne connaissez point. »

La Torah nous demande non seulement d’obéir, mais aussi de « voir », de juger, de telle sorte que ses prescriptions soient accomplies de façon intelligente.

Tel est le sens de la bénédiction en hébreu.

La bénédiction, la braHa, est une conception dynamique, inépuisable et liée à la vie : « bénédiction si l’on accomplit, si l’on fait… » Rappelons-nous que « braHa » est à rapprocher de « breHa » qui veut dire « étendue d’eau » à priori inépuisable. La dynamique de la bénédiction entraîne ici au respect d’un principe fondamental de la Torah : l’obéissance aux paroles de Dieu doit être réfléchie pour éviter les effets pervers, la loi sur les dettes en est un exemple.

  • en ce qui concerne la loi sur les dettes :

Devarim 15:1 à 15:5. « Tous les 7 ans, tu pratiqueras la loi de rémission. Voici le sens de cette rémission: tout créancier doit faire remise de sa créance, de ce qu’il aura prêté à son prochain. Il n’exercera pas de contrainte contre son prochain et son frère…L’étranger, il peut le contraindre… A la vérité, il ne doit pas y avoir d’indigent chez toi car l’Éternel veut te bénir dans ce pays…mais c’est quand tu obéiras à la voix de l’Éternel ton Dieu, en observant avec soin toute cette loi que je t’impose en ce jour. »

Suivant une périodicité de 7 ans, durant l’année de la chmitah (rémission), les dettes entre enfants d’Israël sont annulées. De la sorte, personne ne reste soumis à des créanciers au delà de l’année de la chmitah. Les personnes concernées sont libérées de leurs dettes et peuvent continuer leur activité sans fardeau. Cette loi de la Torah a pour but de favoriser le développement économique du peuple d’Israël.

Néanmoins, la finalité de cette loi n’est pas toujours bien comprise. Quand approche l’année de la chmitah, certains refusent de prêter. On ne peut pas faire abstraction de cette réalité. La Torah a la prend justement en compte comme le soulignent les versets suivants :

Devarim 15:9 à 15:10. « Garde-toi de nourrir une pensée perverse en ton cœur en te disant « que la septième année, l’année de rémission approche, » et sans pitié pour ton frère nécessiteux, de lui refuser ton secours. Alors il se plaindrait de toi à l’Éternel, et tu te rendrais coupable d’un péché. Non! Il faut lui donner, et lui donner sans que ton cœur le regrette, car pour prix de cette conduite, l’Éternel ton Dieu, te bénira dans ton labeur et dans toutes les entreprises de ta main. »

La Torah a donc prévu les abus de sa loi généreuse sur le remboursement des dettes. Quiconque refuse, à tout moment, d’accorder une aide financière à un proche nécessiteux se rend coupable de manque de générosité; alors que les personnes qui acceptent de le faire s’inscrivent dans une dynamique de partage et de construction.

Hillel l’Ancien (premier siècle av.JC) est allé plus loin. Selon la michna Cheviit, il a fait de ces versets de la Torah une takana (décision à force de loi) qui empêche l’application de la règle de rémission des dettes tous les 7 ans. Cette takana est lourde de sens. Hillel l’Ancien a fait en sorte que le réalisme l’emporte ici sur l’idéalisme de la Torah. Ainsi, la bénédiction accordée à ceux qui prêtent aux démunis a prévalu sur la malédiction de ceux qui refusent. Ce fut une façon réaliste de pousser à la générosité.

La largesse d’esprit de la Bible hébraïque et la leçon à en tirer

Mentionnons trois extraits particulièrement significatifs :

Paracha Rée : la Torah anticipe d’elle-même le risque d’abus de sa loi idéale portant sur le remboursement des dettes. La torah orale propose des solutions à travers Hillel, pour permettre à la générosité actuelle de s’exprimer à travers le fait de prêter, même de façon limitée, en attendant que nous faisions de nouveaux progrès et que nous devenions capables d’une remise des dettes complète.

Vayikra ( Lévitique 18:5) : « Voici les commandements que l’homme fera et il vivra par eux. » L’être humain ne doit pas appliquer aveuglément les paroles de Dieu; il doit faire preuve de réalisme en certaines circonstances et s’assurer que les commandements sont appliqués « pour la vie ».

Les Psaumes (119:126): « Il est temps d’agir pour l’Éternel car on a renversé la Torah ». Cette phrase sert également d’appui aux sages pour mettre en œuvres des mesures étranges qui semblent parfois contraires à ce que dit la Torah, mais qui sont nécessaires à sa préservation.

Les grands principes de vie nous sont indispensables. Ils sont le guide de notre vie. Comme ce sont des idéaux, le risque de transgression doit y être intégré. Cependant, quand leur part de réalisme est trop insuffisante et qu’ils vont à l’encontre de leur destinée, ils deviennent néfastes. Il est nécessaire alors de les remettre en cause avec sagesse, non pas pour les supprimer mais pour les corriger et leur redonner leur raison d’être.

Pour conclure : il ne faut pas penser « Idéalisme ou Réalisme », il faut penser « Idéalisme et Réalisme. »