Bonne année 5783! Roch hachana est à SURMELIN à 18h30 accueil à 18h (Kipour sera à la Bastille) Demain 10h. Lundi soir 18h30, mardi matin 10h.
Être fortes et forts exige un sentiment de pouvoir agir, d’importance de nos actions, de responsabilité.
Si nous sommes fort.es et responsable, nous pouvons faire changer le monde, en bien. La responsabilité renforce.
Mais quand nous voyons l’état du monde, et la difficulté de notre quotidien, nous savons que nous avons échoué. Si nous étions responsables, alors nous sommes coupables. La culpabilité affaiblit.
Nous sommes très vite passé.es de la force à la faiblesse, de la responsabilité à la culpabilité.
Comment briser cette logique ?
On pourrait renoncer à la responsabilité, et accepter les choses telles qu’elles sont. Ce n’est pas la voie du judaïsme.
Pas celle du judaïsme biblique : Eve s’est emparée du fruit de la connaissance, Sarah a résisté à Pharaon…
Ce n’est pas la voie du judaïsme talmudique : rabbi juda le prince a mis la torah orale par écrit, rabbi yochoua s’est opposé à dieu
Ce n’est pas la voie du judaïsme historique : Josias et Houlda ont authentifié un livre de la torah, Ezekiel a inventé un dieu universel, NeHémia s’est battu pour le retour à Sion.
La passivité n’est pas la solution juive.
On pourrair renoncer à la réalité, vivre dans le déni, nier nos échecs.
Cependant, le constat d’échec est incontournable. L’ère de justice de fraternité de sororité universelle, objectif du judaïsme, n’est pas là, il s’en faut de beaucoup. Elle n’est pas au cœur des préoccupations politiques, et elle est menacée par la crise climatique grandissante.
Le déni n’est pas une solution juive.
Alors comment faire ? Car il faut une solution, on ne peut pas rester dans la culpabilité. Sans solution, nous serons inévitablement aspirés dans la passivité ou dans le déni !
Les jours de tichri nous proposent un chemin, un programme en quatre temps :
1 – faire le bilan exact de nos réussites et de nos échecs : C’est roch hachana, mettre une « tête » à notre année, redéfinir nos objectifs. Définir un objectif réalisable : dix jours qui nous ressemblent davantage, conclus par un jour d’épreuve raisonnable, un défi que nous savons pouvoir relever.
2- vivre dix jours en application du meilleur de nos capacités d’actions, pratiquer l’introspection (la téfila), la réflexion (téchouva), l’action d’entraide, donner à d’autres de quoi se nourrir et de quoi vivre (tsédaka).
3- pleurer amèrement sur tout le gâchis de nos vies et le gâchis du monde, c’est yom kipour, jeuner pendant 25h (si on peut), mettre nos corps, notre mental et notre émotionnel en relation avec la culpabilité et l’échec.
4- être fier.es d’avoir relevé le défi, manger, construire des cabanes (soukot), agiter des bouquets (loulav), inviter des amis imaginaires (ouchpizin) et réels (orHim).
Ce programme pourrait nous consoler et nous remettre en selle.
Il y aurait bien une autre solution, on pourrait juste être heureu.xes de nos vies
Bonne idée, et le système des bénédictions nous y invite, mais notre histoire implantée à la croisée des violences ne nous laisse pas en paix. La position de Canaan entre l’Egypte, l’assyrie et la babylonie, la position des juifs entre le christianisme et l’islam, entre le religieux et le militantisme, entre l’empathie pour tous les exilés du monde et l’instinct de survie…
Et notre choix éthique juif non plus ne nous permet pas de relâcher la pression. Au contraire, nous cultivons le lien, la liaison, le fait de rattacher des opposés. Nous recherchons, en même temp, différentes réalités. Nous sommes dans le « en même temps », nous sommes à la fois heureux.es et graves en cette soirée de roch hachana, nous sommes à la fois optimistes et désespéré.es, à la fois ensemble et seuls.
Le courage du vrai « en même temps »
Ce mot a été galvaudé, mais nous le vivons depuis des millénaires, non pas dans les idées seulement, mais sur le terrain, dans la vie, au quotidien, dans les plus grandes réflexions comme dans les plus petits actes. Pour vivre cela en réalité, il faut faire vivre les principes dans le réel. De grands mots, comme « en même temps l’écologie et en même temps la solidarité », s’ils restent dans le vide et préparent la mort de populations entières, aujourd’hui et demain, n’est pas un « en même temps », pas un « et » « et » mais un « ni ni », ni la solidarité, ni l’écologie. Lorsqu’elles planent dans le vide, les promesses sont des insultes.
Prenons un exemple une vraie politique d’implantation de la solidarité :
L’amour du prochain.e, belle idée. Mais que vaut ce mot quand des personnes dans la rue au pied de chez nous, meurent de faim, loin de chez nous meurent et de cheveux hors, sur le chemin de chez nous meurent de notre exclusion ? Au contraire la première condition de l’amour, c’est la vie. Si on parle d’amour de l’autre, nous devons l’aider à avoir le nécessaire. Alors le judaïsme parle de la tsédaka, le don-partage, et demande de le réaliser. Mais réalisée juste une fois, cette action ne suffit pas, on l’institutionnalise, c’est le commandement de tsédaka. Encore faut-il que tout le monde connaisse ce commandement, donc on l’enseigne, on en parle tous les matin dans les synagogues, c’est l’enseignement de la tsedaka. Et pour lui donner de la valeur, on en fait une question de survie pour tous et toutes : on déclare solennellement : la « tsédaka sauve de la mort », on écrit des histoires qui racontent cela, c’est la storytellingation de la tsedaka. Et finalement, on associe la tsédaka à un moment décisif de l’année juive, les dix jours de reprise en main, asseret yémé hatéchouva, c’est la célébration publique de la tsédaka. Pour faire bonne mesure, on reprend la notion pour la proclamer solennellement dans le texte phare de tichri : ountané tokef, et on déclare (hélène ? outéchouva outéfila outsédaka maavirin…)
Autre exemple. Un politique de l’écologie :
Le respect des ressources. Mais ce respect, il faut le faire vivre au cas par cas, le judaïsme michnique met en place les bénédictions liées aux plaisirs. Ainsi, le plaisir lié aux ressources est valorisé, la responsabilité vis-à-vis des ressources est enseigné, et réactivé à chaque fois qu’une personne consomme quelque chose. Ce n’est pas de l’écologie soi-disant punitive. C’est la vraie joie liée à la consommation de vraies bonnes choses dont on a vraiment besoin. A cela on associe des histoires, le commandement divin au premier humain de « garder et cultiver » le jardin, l’histoire de rabbi Elazar qui faisait pousser des légumes et fruits de toutes les variétés, un ajoute des fêtes du lien avec la nature, soukot, tou bichevat. Et on associe cette notion également à la première fête de l’année juive, roch hachana devient la fête de la création du monde, de la nature et de l’être humain.
Et on associe ensuite les deux notions, en alliant le repos septenal de la terre qui la protège et la pause septenale des injustices sociales avec la cessation de la production agricole massive et le retour de toutes et tous au glanage, et qui justement était proclamé à soukot, dans 15 jours.
Alors, ces deux mesures se soutiennent, on est dans le vrai en même temps. En même temps le repos personnel, en même temps le repos collectif, en même temps le respect de la nature, en même temps le respect des humains, en même temps les idées, en même temps les pratiques, en même temps les élans du cœur, en même temps les réglementations collectives.
De la même façon, si nous voulons faire entrer des valeurs et des pratiques dans nos vies, il faut les envisager dans toutes leurs dimensions et les mettre en place dans toutes leurs dimensions.
Si on s’arrêtait à mentionner l’amour du prochain.e, nous serions quelque part entre l’hypocrisie et la pensée magique. En mettant en place un cadre de vie digne, posé comme la fierté de notre identité, nous sommes dans le réel.
Sauf que nous ne le faisons pas. Parce que nous sommes impuissant.es, nous ne sommes pas ministres de l’économie, ou de la solidarité, ou du logement, nous pouvons donner un peu d’argent ou héberger l’une ou l’autre personne, mais cela ne suffira pas. Nous pouvons mettre des couvercles sur les casseroles pour réduire la crise énergétique, la guerre en ukraine et le changement climatique, mais cela ne suffira pas. Donc, impuissant.es ?
Oui et non.
Non, nous ne sommes pas impuissant.es, parce que nous pouvons vraiment faire changer les choses, si, en sortant de la synagogue ce soir, nous prenons nos repas de roch hachana et nous les amenons place de la bastille pour les manger toustes ensemble, et nous ne partons pas avant qu’une politique climatique et une politique sociale soient en place, oui, il y aura du changement. (et quelle fierté)
Mais si, nous sommes peut être impuissants, parce que je ne crois pas que nous allons le faire… ou bien si ? Non ? Et le messie ne viendra pas, le messie c’est nous toutes et tous, et nous avons besoin de ce collectif pour agir, et si le collectif n’est pas mur, que faire seul ?
Alors à Kipour peut-être ? A la fin du jeune ? Qui est partant.e ?
Heureusement, heureusement, que nous acceptons la responsabilité, que nous acceptons la réalité de notre échec et la culpabilité qui va avec, qui revient par cycles, et heureusement heureusement, que nous avons de merveilleuses fêtes et célébrations pour nous consoler, pour alléger la culpabilité, pour nous redonner la force de toujours revenir à la responsabilité joyeuse.
Alors continuons à nous mettre la pression, par exemple avec l’aide de ountané tokef, continuons à prendre acte de nos échecs par exemple avec le vidouï, continuons à nous réveiller avec le chofar, continuons à nous réconforter avec la joie des rassemblements synagogaux.
Continuons à nous juger et faire notre bilan dans la joie avec roch hachana, à agir pour le bien avec les dix jours de retour/expression/partage, à vivre notre impuissance avec kipour, et à vivre notre puissance avec Soukot et simHat torah.
Continuons à nous stimuler avec la pomme acide et à nous réconforter avec le miel si doux.
Comme les temps sont difficiles, je crois que renforcer un peu la douceur n’est pas superflu, alors je vous donne un petit cadeau sous forme de conte pour la route, je vous révèle un petit secret des rabbins : Dieu triche. Nous ne sommes peut-être pas à la hauteur, mais le créateur du monde triche en notre faveur.
Le prophète osée dit :
12 Faites vos semailles selon la justice et vous moissonnerez selon la loi d’amour; tracez-vous des sillons. C’est l’heure de se mettre en quête de l’Eternel, pour qu’il vienne verser sur vous le salut.
זִרְעוּ לָכֶם לִצְדָקָה קִצְרוּ לְפִי-חֶסֶד, נִירוּ לָכֶם נִיר; וְעֵת, לִדְרוֹשׁ אֶת-יְהוָה, עַד-יָבוֹא, וְיֹרֶה צֶדֶק לָכֶם.
Le midrach téhilim raconte :
Rabbi Juda et rabbi NéHémia ont dit : la qualité de détresse est stérile et ne produit pas de fruits, la qualité du bien produit des fruits, comme il est dit : semez selon la justice et récoltez dans la bonté. Que fait le saint béni soit-il ? Il prend de l’être humain ses fautes et revient et lui donne un salaire. Rabbi Elazar dit : le plateau de la balance est truqué, ici des fautes, là des mérites. Que fait le saint béni soit-il ? il fait pencher du côté de la bonté comme il est dit : a toi éternel appartient la bonté (ps 62 :13). Rabbi Yossi dit au nom de rabbi Hanina : Que fait hkbh ? Il enlève un des bulletins de dette et tout de suite la balance penche comme il est dit « supporte la faute et dépasse la transgression » (MiHa 7 :18). Rabbi NeHémia dit : si une personne envisage de commettre une transgression hkbh ne la compte pas avant qu’il ne l’ait réalisée, et si elle envisage de faire une bonne action et qu’il n’y parvient pas, jusqu’à ce qu’il la fasse hkbh l’écrit immédiatement comme s’il l’avait réalisée comme il est dit : « et il entendit et il écrit le livre des souvenirs devant lui pour les personnes qui respectent l’Eternel et qui prennent en compte son nom » (MalaHie 3 :16)
מדרש תהלים (בובר) מזמור ל – הטיית כף המאזניים לחסד
ר’ יהודה ור’ נחמיה אמרו: מדת פורעניות עקרה ואינה עושה פירות, מדה טובה עושה פירות, שנאמר: « זרעו לכם לצדקה קצרו לפי חסד » (הושע י יב). מה הקב »ה עושה? גובה מן האדם עוונותיו, וחוזר ונותן לו שכרו … ר’ אלעזר אומר: כף מאזנים מעויין הוא, כאן עונות כאן זכיות. מה הקב »ה עושה? מטה כלפי חסד, שנאמר: « ולך ה’ חסד » (תהלים סב יג). ר’ יוסי ב »ר חנינא אמר: מה הקב »ה עושה? חוטף שטר חוב אחד מן העונות ומיד הכף מכריעות, שנאמר: « נושא עון ועובר על פשע » (מיכה ז יח). ר’ נחמיה אמר: חשב אדם לעבור עבירה, אין הקב »ה חושבה עד שיעשנה. ואם חשב לעשות מצוה ולא הספיק לעשותה, עד שלא עשאה, מיד הקב »ה כותבה כאילו עשאה, שנאמר: « וַיִּשְׁמָע וַיִּכָּתֵב סֵפֶר זִכָּרוֹן לְפָנָיו לְיִרְאֵי ה’ וּלְחֹשְׁבֵי שְׁמוֹ » (מלאכי ג טז).17
Merci pour ce beau texte