Paracha VayéHi : comment dépasser la mort ?

Tout a un début puis une fin, et tout se renouvelle. Le livre de la Genèse (Béréchit, בְּרֵאשִׁית, au commencement) s’achève avec la paracha VayéHi. Débute ensuite le livre de l’Éxode (Chémot, שְׁמוֹת, les noms) dans la continuité de la Torah.

Comme nous l’avons vu, la Genèse comporte trois parties : la création de l’univers, incluant l’humanité, avec ce qui en résulte, puis l’histoire des Patriarches et des Matriarches et enfin, le récit de la vie de Joseph. Par ailleurs, la Genèse nous révèle l’origine des Israélites en tant qu’individus et familles, alors que l’Éxode décrit plutôt la création d’un peuple, le peuple d’Israël.

A la fin de la Genèse, les hébreux (les Israélites de l’époque) se trouvent, dans leur majorité, en Égypte, rassemblés autour de Joseph et de Jacob; Jacob dont la vie s’achève.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha VayéHi du sefer Béréchit (Genèse) 47:28 à 50:26 et le dépassement de la mort de Jacob

Le sefer Béréchit s’achève avec la paracha VayéHi qui débute par : « Et Jacob vécut… » (וַיְחִי יַעֲקֹב). Cette Paracha nous parle de la vie et de la mort. La mort est liée à la vie. Elle n’est pas véritablement une disparition, au sens propre du terme. Elle est donc dépassée.

Citons un midrach du Talmud Taanit (5b) : deux Rabbins discutent de façon conviviale, en prenant ensemble leur repas. Rabbi NaHman demande à Rabbi Yitzak de lui raconter une histoire intéressante. Rabbi Yitzak répond :  » Je ne vais rien te raconter maintenant, parce que Rabbi NaHman a dit qu’il n’est pas prudent de parler en mangeant, car en parlant on risque de s’étouffer. » Rabbi NaHman acquiesce. À la fin du repas Rabbi Yitzak reprend la conversation et, en guise d’histoire, cite une parole de Rabbi YoHanan :  » Jacob, notre père, n’est pas mort ». Rabbi NaHman répond :  » Qu’est-ce-cela signifie ? Te moques-tu de moi ? Jacob est bien mort ! Il a eu son éloge funèbre, puis a été embaumé et inhumé. » Rabbi Yitzak dit alors :  » Je ne nie pas cela. Je parle d’un verset du livre de Jérémie qui dit : n’aie pas peur, mon fils Jacob, car aujourd’hui je te délivre et aujourd’hui tes enfants reviennent. »

Commentons cette phrase du livre de Jérémie. Jacob est Israël. Il est délivré et revit du fait de la délivrance et du retour de ses enfants, les enfants d’Israël. Cela signifie que Jacob, d’une certaine façon, est encore vivant maintenant. Il vit encore, de par ses enfants d’aujourd’hui, les membres du peuple Juif.

Nous en déduisons que nous tous vivons à travers nos enfants, de notre vivant comme après notre mort. Nos enfants et nos descendants, biologiques ou affectifs, sont porteurs à l’infini d’une partie de nous-même, partie de nous-même pas forcément tangible. Ce principe s’apparente à la notion de pérennité du Judaïsme par la transmission, de génération en génération.

Jacob, avant de s’éteindre, souhaite bénir ses enfants et petits enfants. Il bénit tout particulièrement Joseph par l’intermédiaire de ses deux fils, Manassé et Éphraïm. Jacob décide ainsi de placer les deux enfants de Joseph, nés avant son arrivée en Égypte, au rang d’enfants d’Israël, comme ses autres enfants :

Béréchit 48:5. « Et maintenant, tes deux fils qui te sont nés au pays d’Égypte avant que je vienne auprès de toi en Égypte, deviennent miens. Tout autant que Ruben et Siméon, Éphraïm et Manassé sont miens. »

Béréchit 48:20. Il les bénit alors et dit: « Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant: que Dieu te fasse devenir comme Éphraïm et Manassé! » Il plaça ainsi Éphraïm avant Manassé.

Depuis des siècles nous continuons à nous appeler « les enfants d’Israël » ( Béné Israël – בְּנֵי יִשְׂרָאֵל), ou encore « les enfants de Jacob ». Notre vie est ainsi un prolongement de la vie de Jacob.

La transmission du Judaïsme est en relation étroite avec la bénédiction des enfants par leurs parents. Le vendredi soir, quand nous pratiquons la bénédiction des garçons nous apposons nos mains sur leurs têtes, et nous prononçons ces paroles : « que l’Éternel te mette au même niveau que Éphraïm et Manassé ». Ce qui signifie que nous mettons directement nos fils en relation avec Jacob, sans nous préoccuper de la longueur du temps passé. En ce qui concerne nos filles, nous les bénissons de la même façon, en disant : « que l’Éternel te mette au même niveau que Sarah, Rébecca, Léa et Rachel. »

La braHa (bénédiction) des enfants, renouvelée en permanence, est à l’image d’une source intarissable de sagesse recueillie puis transmise sans cesse. Cette notion de temps sans limite nous fait penser au verset 7:9 du Deutéronome : « Tu sais bien que l’Éternel, ton Dieu, est le vrai Dieu, fidèle au pacte d’alliance et bienveillant envers ceux qui l’aiment et qui accomplissent ses commandements, jusqu’à la millième génération. »

La paracha VayéHi cite également la mort de Joseph.

Béréchit 50:24 à 50:26. Joseph dit à ses frères: « Je vais mourir. Sachez que l’Éternel se tournera vers vous. Il vous fera quitter ce pays pour celui qu’il a promis par serment à Abraham, Isaac et Jacob »…Alors Joseph fit jurer les fils d’Israël pour leur dire: « Oui, l’Éternel se tournera vers vous, alors vous devrez faire remonter d’ici mes ossements. » Joseph mourut âgé de cent dix ans. Il fut embaumé puis fut déposé dans un cercueil en Égypte.

Joseph fait une requête à transmettre de génération en génération. Il  demande aux futurs Béné Israël d’emporter ses ossements avec eux quand ils quitteront l’Égypte pour gagner la terre de Canaan. Joseph pressent que l’avenir s’ouvrira aux enfants d’Israël, après une longue période de tourment.

Le transfert des ossements de Joseph, comme ceux de Jacob, a pour but de préserver le lien physique entre les générations fondatrices du monothéisme hébreu, et les générations qui tentent de vivre paisiblement dans leur terre promise, le pays de Canaan, qui deviendra après le retour de 2000 ans d’exil, l’État d’Israël.

La transmission se poursuit. Ainsi que l’énonçait Rabbi ItsHak avec provocation, Jacob, notre ancêtre, n’est pas mort. A nous de continuer son enseignement, de d’être digne d’ « Israël ».

Paracha Vayigach : Une nouvelle fraternité et une bonne nouvelle année!

Nous pourrions disserter longuement sur les failles de la puissance. Contentons-nous d’évoquer les failles de Joseph, fils de Jacob.

Comme relaté dans la paracha précédente, Joseph est élevé au rang de « vice-roi » d’Égypte, alors que sa famille le croit disparu à jamais. Il est devenu un homme puissant; mais il reste porteur de blessures morales d’enfance dont il est pleinement conscient.

Il semble certain que Joseph ne sera en paix avec lui-même, qu’au jour de la cicatrisation de ses plaies d’enfance. Recréer la fraternité est l’objectif majeur qu’il s’est donné, pour y parvenir.

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La paracha Vayigach du sefer Béréchit (Genèse) 44:18 à 47:27 et la fraternité recréée

Joseph a pu se relever de toutes les épreuves que la vie lui a imposé, et pour cette raison il a été capable de devenir le bras droit de Pharaon. L’épreuve qui l’a marqué le plus est d’avoir été vendu comme esclave par ses propres frères. La fraternité s’est brisée à ce moment là. La renaissance de cette fraternité détruite est devenue une obsession pour Joseph, qui voudrait, plus que tout, revoir sa famille réunie autour de lui.

Un verset de la paracha Vayéchev est significatif :

Béréchit 37:16. Alors, il dit: « Ce sont mes frères que je cherche »…

La famine, en terre de Canaan, oblige les frères de Joseph, excepté Benjamin, à descendre en Égypte pour se ravitailler. À cette occasion, ils se présentent devant Joseph qui les reconnaît sans se faire reconnaître d’eux. Joseph exerce alors sur eux une pression douloureuse, dont l’objectif est de les mettre à l’épreuve de la fraternité.

Joseph imagine un scénario qui lui permettra de tester ses frères; ses frères, qui par une abjecte jalousie ont tenté de le faire disparaître. Joseph veut vérifier que ses frères, au fil des années, ont changé et sont devenus dignes d’être aimés, dignes de la fraternité qu’il souhaite reconstruire.

Dans ce test, c’est la sensibilité fraternelle des frères de Joseph qui devra faire ses preuves. Le plus jeune, et le plus vulnérable d’entre eux, en sera le personnage-clé. Ce jeune frère est Benjamin, le dernier-né de Rachel, son frère de père et de mère, celui pour qui il éprouve une grande tendresse.

Nous devons citer plusieurs versets de la paracha Mikets pour exposer le scénario :

Béréchit 42:8 à 42:9. Joseph reconnut ses frères, mais eux ne le reconnurent pas…Joseph se souvint alors des rêves qu’il avait eus à leur sujet. Il leur dit: « Vous êtes des espions! C’est pour découvrir les points faibles du pays que vous êtes venus! »

Béréchit 42:19 à 42:29. Si vous êtes de bonne foi, qu’un seul d’entre vous [Siméon] soit détenu dans votre prison, tandis que vous irez apporter à vos familles de quoi calmer leur faim…Puis amenez moi votre plus jeune frère [Benjamin]. Alors vos paroles seront jugées dignes de foi et vous ne mourrez pas. » Ils acquiescèrent……Ils chargèrent leurs céréales sur leurs ânes et partirent……Arrivés chez Jacob leur père, au pays de Canaan, ils lui contèrent toute leur aventure…

Dans un premier temps, Ruben tente sans succès de convaincre Jacob de leur confier Benjamin. Juda prend le relais et trouve les bons arguments pour faire céder son père.

Béréchit 43:11 à 43:13. Jacob, leur père, leur dit: « Puisqu’il en est ainsi, faites ceci: mettez dans vos bagages les meilleures produits du pays et apportez les en hommage à cet homme [Joseph]…… Munissez vous d’une double somme d’argent et l’argent qui a été mis à l’entrée de vos sacs, restituez le de vos mains……Prenez votre frère [Benjamin]. Levez-vous et retournez vers cet homme. »

Joseph garde Siméon en otage avant de libérer les autres frères accusés d’espionnage. Les frères se rappellent alors à quel point ils ont maltraité Joseph dans le passé. Ils se retrouvent dans une situation comparable et sont pris de remords. Après avoir obtenu l’accord de Jacob, ils redescendent en Égypte avec Benjamin.

Joseph, heureux d’avoir revu son petit frère Benjamin, monte un stratagème pour le garder avec lui : l’arrestation de Benjamin pour un vol qu’il n’a pas commis.

Béréchit 44:12. L’intendant fouilla, commençant par le plus âgé, finissant par le plus jeune. La coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin.

Nous sommes maintenant dans la paracha Vayigach.

Juda intervient alors pour convaincre Joseph de libérer Benjamin. Il lui explique que Jacob mourra de chagrin si Benjamin disparaît.

Béréchit 44:30 à 44:34. Et maintenant, en retournant chez ton serviteur, mon père, si nous ne sommes pas accompagnés du jeune homme, sa vie étant attachée à la sienne,…ne voyant point paraître le jeune homme, il mourra. Tes serviteurs auront fait descendre les cheveux blancs de ton serviteur, notre père, de chagrin au Shéol…Car ton serviteur a répondu de cet enfant à son père, en disant: ‘Si je ne te le ramène, je serai coupable à jamais envers mon père’…Donc, de grâce, que ton serviteur, à la place du jeune homme, reste esclave de mon seigneur et que le jeune homme reparte avec ses frères…Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant? Pourrais-je voir la douleur qui accablera mon père? »

Après avoir entendu cela, Joseph est sûr que ses frères ont réellement changé, avec le temps, mais aussi sous sa pression et celle de Jacob. Il craque et en pleurs leur révèle sa véritable identité, tout en demandant des nouvelles de Jacob.

Béréchit 45:1 à 45:4. Joseph ne put se dominer……Il éleva la voix en pleurant……et il dit à ses frères: « Je suis Joseph; mon père vit-il encore? » Mais ses frères ne purent lui répondre, car ils étaient frappés de stupeur…Joseph dit alors à ses frères: « Approchez-vous de moi, je vous prie. » Et ils s’approchèrent. Il reprit: « Je suis Joseph, votre frère que vous avez vendu pour l’Égypte. »

La fraternité et l’amour de la famille ont étés les plus forts.

Les frères de Joseph ne sont plus les mêmes. Ce changement, dans le sens du bien, face à des situations analogues, peut être considéré comme une démarche de Téchouva (תשובה). Selon Maïmonide, ce type d’évolution personnelle correspond à l’essence même de la Téchouva.

La famille de Jacob, finalement réunie en Égypte

Ensuite, Joseph demande à ses frères de vite retourner en terre de Canaan et de revenir au plus tôt en Égypte, avec leur père, Jacob, et tout le reste de la famille.

Béréchit 45:9 à 45:10. « Remontez vite vers mon père et dites lui ce qui va suivre. Voici ce qu’a dit ton fils Joseph: Dieu m’a fait le seigneur de toute l’Égypte. Viens auprès de moi, ne tarde pas…Tu habiteras la terre de Gessen [en Égypte] et tu seras tout près de moi, toi, tes enfants, tes petits-enfants, ton petit bétail, ton gros bétail et tout ce qui t’appartient. »

La fraternité a finalement pu renaître, ce n’est pas simplement le « passage du temps » qui a soigné les plaies, mais un travail relationnel et personnel considérable. Le Joseph et les frères qui se retrouvent ne sont pas ceux du passé. Une nouvelle réalité familiale est née.

Bonne année 2017 à toutes et à tous!

Paracha Mikets : comment façonner la réalité ?

Semer des graines d’où germeront les événements futurs, est une façon d’essayer de façonner la réalité. Il nous vient à l’esprit un autre type de tentative, d’ordre scientifique, pour y parvenir.

Des recherches portent actuellement sur une question complexe : nos pensées, focalisées de façon intense sur un objectif très précis, ont un impact sur des événements en relation avec cet objectif. Lynne McTaggart (1951 -), journaliste scientifique américaine, a publié récemment un ouvrage sur ce sujet. Il est intitulé « La science de l’intention. » Cet ouvrage a pour but, données scientifiques à l’appui, de répondre par l’affirmative à cette hypothèse.

En lisant la paracha Mikets, nous sommes en admiration. Un prisonnier hébreu, Joseph, a réussi à façonner la réalité. Il a acquis le pouvoir de maîtriser l’économie de toute une nation, l’Égypte. Comment Joseph a-t-il pu y parvenir ?

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La paracha Mikets du sefer Béréchit (Genèse) 41:1 à 44:17 et la gloire de Joseph

Au tout début de la paracha, Joseph est en prison en Égypte, depuis deux ans; mais il a semé les graines d’événements à venir.

En prison, Joseph a rencontré le Grand Échanson de Pharaon. Joseph a même interprété le rêve du grand échanson, et plaidé sa cause auprès de lui, puisqu’il est emprisonnée sur la base d’une erreur judiciaire. Il lui a demandé de ne pas l’oublier au moment de sa libération. Dans un premier temps, il semblerait que le Grand Échanson ait effacé Joseph de sa mémoire, et Joseph continue à croupir en prison.

Cependant, se produit un événement qui va tout changer.

Béréchit 41:1. Il advint, au bout de deux années, que Pharaon eut un rêve. Il se trouvait debout au bord du Nil.

Après deux années de stagnation, Joseph va être libéré. Rapidement, il parviendra au summum du pouvoir, ce qui lui permettra de gérer la réalité qu’il a anticipée et en partie façonnée. C’est à nouveau un rêve qui change le cours des choses, il s’agit cette fois du rêve de Pharaon. Comme déjà évoqué avec le Traité BraHot, le rêve suivra son interprétation.

Joseph, qui a interprété avec justesse les rêves du Grand Échanson et du Maître Panetier, est appelé auprès de Pharaon pour interpréter son rêve. Le Grand Échanson, qui a fini par se souvenir de lui, le considère comme le seul interprète crédible et suggère à Pharaon de le consulter.

Béréchit 41:9 à 41:14. Alors, le Grand Échanson parla avec Pharaon en ces termes: « Je rappelle, en cette occasion, mes fautes…Un jour, Pharaon était irrité contre ses serviteurs et il nous fit enfermer dans la prison du chef des gardes, moi et le Maître Panetier…Nous eûmes un rêve la même nuit, lui et moi, avant d’avoir l’interprétation de nos rêve…Était avec nous un jeune Hébreu, esclave du chef des gardes. Nous lui racontâmes nos rêves et il les interpréta…Et il advint ce qu’il avait interprété. Moi, je fus rétabli dans mon poste et le Maître Panetier fut pendu »…Alors, Pharaon envoya chercher Joseph qu’on fit sur le champ sortir du cachot. Joseph se rasa, changea de vêtements puis parut devant Pharaon.

Par son interprétation du rêve de Pharaon, Joseph dépeint 14 années d’avenir de l’Égypte. Il prédit à Pharaon 7 années d’abondance pour l’Égypte, suivies par 7 années de misère et de famine.

Béréchit 41:25 à 41:28. Joseph dit à Pharaon: « Le rêve de Pharaon ne fait qu’un: ce que Dieu prépare, il l’annonce à Pharaon…Les sept belles vaches, sont sept années et les sept beaux épis, sept années aussi. C’est un même songe…Et les sept vaches maigres et laides qui sont sorties ensuite, sont sept années, de même que les sept épis vides, desséchés par le vent d’est. Ce seront sept années de famine…C’est ce que j’ai dit à Pharaon. Ce que Dieu a prévu de faire a été révélé à Pharaon. »

Joseph fait ensuite la proposition suivante à Pharaon : qu’il soit fait en sorte, pendant les 7 années d’abondance, que soit prélevé et stocké le cinquième des ressources alimentaires du pays. Ce stock de ressources devra être redistribué, dans tout le pays, pendant les 7 années de famine.

Joseph aurait-il, non seulement la capacité d’anticiper l’avenir, mais aussi la capacité de le modéliser ? Il propose des solutions concrètes à la résolution de problèmes qui se poseront dans le futur. Joseph ne serait-il pas en train de façonner la réalité ?

La proposition de Joseph à Pharaon nous fait penser à la « prophétie d’auto-réalisation ».

Cette notion d’auto-réalisation est importante. Donnons-en un exemple : En « prophétisant » la pénurie de carburant, on peut induire un sentiment d’inquiétude auprès des automobilistes. Ces derniers, alertés et inquiets vont vite faire le plein de leurs de réservoirs. D’habitude, lorsque les automobilistes sont confiants, il font le plein lorsque le réservoir est presque vide. Compte tenu de leur inquiétude, ils font le plein beaucoup plus tôt. La quantité d’essence demandée est alors bien supérieure à celle qui est habituellement nécessaire. De ce fait, la pénurie de carburant s’accroît fortement et s’auto-entretien au gré des approvisionneurs. La prophétie initiale s’est donc réalisée, bien qu’elle n’ait pas été particulièrement justifiée par la situation réelle.)

L’auto-réalisation, ne s’applique pas seulement aux questions économiques. Claude Steiner (1935 -), psychothérapeute adepte de l’Analyse Transactionelle, nous le rappelle avec le conte des Chaudoudoux (à voir sur le lien suivant, cliquez ici ). Le thème de ce conte est le partage généreux de ressources émotionnelles et les conséquences liées à l’idée de pénurie de ces ressources.

Revenons à Joseph. La proposition qu’il a faite à Pharaon va dans le sens de sa prise en main de l’économie Égyptienne. Pharaon, convaincu du bien-fondé de cette proposition, décide de prendre Joseph à ses côtés pour gouverner l’Égypte :

Béréchit 41:39 à 41:42…Puis Pharaon dit à Joseph: « Puisque Dieu t’a révélé tout cela, nul ne peut être aussi sage et avisé que toi…C’est toi qui sera le chef de ma maison; tout mon peuple sera gouverné par ta parole et je n’aurai sur toi que la prééminence du trône »… Pharaon dit encore à Joseph: « Vois! je te mets à la tête de tout le pays d’Égypte »…Et Pharaon ôta sa bague de sa main et la passa à celle de Joseph. Il le fit habiller de vêtements en fin lin et mit un collier d’or à son cou.  

(Le rapprochement est à faire avec la Méguila d’Esther, quand Mardochée reçoit les pleins pouvoirs de la part du souverain de l’empire Perse, Assuérus.)

Joseph aux prises avec ses blessures d’enfance

C’est la gloire pour Joseph, cependant ses blessures d’enfance n’ont pas cicatrisé. L’objectif de sa fulgurante ascension en Égypte est, consciemment ou inconsciemment, de réunir toute sa famille, en particulier ses frères, auprès de lui. Mais ce n’est plus comme avant, en terre de Canaan, quand il n’avait que 17 ans. Maintenant, c’est en position de force, en position de « vice-roi » d’une nation puissante, capable de nourrir son peuple et tous les pays alentour, qu’il les recevra.

Justement, la famine règne en terre de Canaan et, à la demande de Jacob, les frères de Joseph, excepté Benjamin, descendent en Égypte pour se procurer de la nourriture. Joseph les reçoit sans se faire reconnaître d’eux. Lui, il les reconnaît très bien. Il exerce une terrible pression sur eux pour les dominer et mettre à l’épreuve leur sens de la fraternité. Il va jusqu’à les maltraiter verbalement, retenir Siméon et exiger que Benjamin, l’autre fils de Rachel, sa propre mère, lui soit livré en échange de sa clémence.

Mais à ce stade rien n’est réglé. Joseph n’est pas maître du dénouement. Les frères de Joseph vont-ils revenir avec Benjamin ?

Il en sera ainsi. La réalité façonnée par Joseph est conforme à ses vœux. Cependant, Joseph n’a pas encore révélé sa véritable identité. Le rassemblement des 12 fils d’Israël aura-t-il vraiment lieu ? La prochaine paracha nous donnera la réponse.

Paracha Vayéchev : pourquoi sacrifier Joseph ?

Joseph est le onzième fils de Jacob et le premier-né de Rachel.

Joseph est né à Haran, ville araméenne, où s’était retiré son père, Jacob. Après avoir passé son adolescence en terre de Canaan avec sa famille, il s’est retrouvé exilé en Égypte, malgré lui, et jusqu’à la fin de ses jours. En Égypte, Joseph a connu la prison et les plus grands honneurs auprès de Pharaon.

Joseph est un personnage important de la Torah. Il relie l’époque d’Abraham et de sa proche descendance, à l’époque ultérieure de la libération des hébreux, conduite par Moïse.

La paracha Vayéchev nous conte les mésaventures de Joseph. Elle nous conduit aussi à nous interroger sur la valeur de la vie humaine et sur la prise de risque individuelle.

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La paracha Vayéchev du sefer Béréchit (Genèse) 37:1 à 40:23 et le « sacrifice » de Joseph

Nous tenons beaucoup à la vie, certes; mais jusqu’à quel point, et à quel prix ? Le Talmud Yoma, dont le principal objet est la pratique de Yom Kipour, aborde ce sujet qui est repris spécifiquement par l’expression rabbinique « PikouaH néfech » (פיקוח נפש) signifiant « Surveillance, protection de la vie humaine ».

La règle de « PikouaH néfech » indique que la préservation de la vie humaine l’emporte sur pratiquement toute les autres considérations religieuses.

Font exceptions, les trois interdictions suivantes : l’idolâtrie flagrante, l’inceste et l’adultère et le meurtre d’une personne qui ne menace pas notre vie.

Savoir, ou simplement supposer, que notre vie a un sens, est nécessaire à notre plaisir de vivre et à notre équilibre. Nous tenons instinctivement à la vie, et il nous est difficile de savoir réellement en quelles circonstances nous serions prêts à la mettre en jeu, à nous sacrifier.

Cette question est au cœur de la paracha Vayéchev. En la lisant nous avons le sentiment que, d’une certaine façon, Israël (Jacob) a sacrifié Joseph, ou bien que Joseph s’est lui-même sacrifié. Dans le parcours de vie de Joseph, rien n’est simple.

Commençons par commenter le verset suivant de la Genèse :

Béréchit 37:3. Or Israël [Jacob] aimait Joseph davantage que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse; et il lui avait fait faire une longue chemise [tunique] à rayures.

Israël aime particulièrement Joseph. Il aime bien-sûr ses autres enfants, mais pas de la même façon. Israël souhaite différencier Joseph de ses autres enfants, et pour le distinguer matériellement il lui fait porter une tunique à bandes de couleurs différentes.

Pourquoi cette préférence ? Il est peut-être commun parmi les parents de préférer l’un ou l’autre enfant, ou en tout cas de reconnaitre leur diversité et les qualités particulières de l’un ou de l’autre. On peut également penser que la préférence de Jacob s’explique du fait de la préférence qu’il a justement pour Rachel, la mère de Josèphe, qu’il a profondément aimée.

Mais nous devons voir plus loin. Israël a eu de nombreux enfants de quatre femmes différentes. Certains commentateurs pensent que la tunique bariolée de Joseph est l’image d’un rassemblement d’identités multiples. Joseph serait donc l’enfant le plus apte à faire l’unité auprès de lui, à rassembler tous les enfants d’Israël (Jacob) au-delà de leur diversité.

Ce n’est pas ce qui va se passer dans un premier temps. Le fait de distinguer Joseph, le sépare des autres enfants et provoque leur jalousie. En le distinguant, Israël met Joseph en situation de risque. C’est pour cela qu’on peut se demander s’il le « sacrifie » sciemment.

(Cet épisode de la Torah nous fait bien prendre conscience que quiconque proteste, lève la tête, se révolte individuellement pour défendre une cause, prend des risques personnels importants. Se démarquer de la « masse » est parfois dangereux.)

Une alliance s’est constituée entre Israël et Joseph dans la recherche de l’unité et de la paix. Israël « sacrifie » Joseph en le chargeant d’établir l’unité de sa descendance. Israël sait que Joseph devra affronter la haine terrible qui s’est installée envers lui, et Joseph est tout à fait conscient de ce défi.

Béréchit 37:4. Quand ses frères virent que leur père l’aimait de préférence à eux, ils le prirent en haine et ne purent se résoudre à lui parler dans la paix.

Israël et Joseph sont en situation de prise de risque conjointe dans le dialogue suivant :

Béréchit 37:13 à 37:14. Par la suite Israël dit à Joseph: « Tes frères font paître les troupeaux près de Sichem, n’est-ce pas? Viens, je veux t’envoyer vers eux. » Joseph répondit: « Je suis prêt »… Israël reprit: « Va voir, je te prie, comment se portent tes frères, comment se porte le bétail et rapporte m’en des nouvelles. » Ainsi, il l’envoya de la plaine d’Hébron et Joseph se rendit à Sichem.

De façon concise, voici ce qui se passe ensuite : courageusement Joseph part à la recherche de ses frères. Il rejoint ses frères qui le dépouillent aussitôt de sa tunique bariolée, puis le jettent dans un puits vide. L’un des frères propose de vendre Joseph à une caravane d’Ismaëlites qui s’approche. Mais des marchands Midianites, qui passent par là, tirent Joseph du puits et le vendent aux Ismaëlites qui décident d’emmener Joseph avec eux en Égypte. Par la suite, les Midianites reprendront Joseph et le vendront comme esclave à Potiphar, officier de Pharaon.

Cet événement a été l’objet d’un commentaire de Rachi. Selon Rachi, le mot « passim » -פַּסִּים- de l’expression « kétonet passim » -כְּתֹנֶת פַּסִּים- (tunique bariolée) est porteur de sens. Il présage des dangers auxquels Joseph est exposé : pé de passim (Potiphar dont l’épouse mettra Joseph en grand danger), sameH de soHarim (les marchands), youd de Yichmaélim (les Ismaëlites), mèm de Midianites.

Après coup, les frères de Joseph trempent la tunique bariolée (celle qui devait symboliser l’unité) dans le sang d’un bouc et la font porter à leur père, Israël.

La suite dans les versets suivants :

Béréchit 37:33 à 37:36. Il la reconnut et s’écria: « La tunique de mon fils! Une bête féroce l’a dévoré! Joseph a sûrement été mis en pièces! »…Et Jacob [Israël] déchira ses vêtements, mit un cilice sur ses reins et porta longtemps le deuil de son fils…Tous ses fils et toutes ses filles se mirent en devoir de le consoler, mais il refusa toute consolation et dit: « Non! Je rejoindrai, en pleurant, mon fils au Shéol! » Et Jacob [Israël] continua de le pleurer…Quant aux Midianites, ils vendirent Joseph en Égypte à Potiphar, officier de Pharaon, chef des gardes.

Le chagrin et l’espoir d’Israël (Jacob)

Le chagrin et la douleur se sont emparés d’Israël après la disparition de Joseph; mais l’espoir est toujours là, malgré les apparences.

Selon Rachi, le grand-père Isaac a la quasi certitude que Joseph est toujours en vie. Il semblerait qu’Israël ne soit pas véritablement en deuil, mais plutôt en situation de doute quant à la mort de son fils. On peut penser que ses troubles s’apaisent légèrement et il se crée une communication par la pensée entre lui et Joseph, une continuité de leur alliance, en remplacement du contact direct.

Jacob savait le risque qu’il prenait en envoyant Joseph vers ses frères, il n’a pas vu la dépouille de Joseph, l’attitude de ses fils doit sans doute d’une façon ou d’une autre refléter leur sentiment de culpabilité. Ces fait, en plus de sa capacité prophétique, donnent certainement à Jacob des indications à propos du sort de Joseph et de l’avenir de sa descendance.

Israël se sent encore relié à Joseph par la finalité de leur alliance. En dépit des événements, il garde en lui l’espoir de la paix et de l’unité autour de Joseph, dans un nouveau cadre. Unité indispensable à l’existence de ce qui deviendra son peuple, le peuple Juif.

Jacob et Joseph n’ont sacrifié personne. Ils ont pris un risque calculé. Peut-être, qui sait, l’unité des frères pourra avoir lieu dans l’avenir.

Dans la vie, les moments d’incertitudes ne sont pas faciles à vivre. Il est important néanmoins de mettre toutes les chances de son côté, quitte à prendre des risques. Jacob et Joseph nous en donnent l’exemple.

Paracha VayichlaH : quelle est la recette de la paix ?

Il y a plus de vingt ans, sur les conseils pressants de sa mère Rébecca, Jacob quittait Béer-shéva pour rejoindre la ville de Haran où résidait son oncle Laban.

Jacob a pris pour épouses Léa et Rachel, les filles de Laban. Il est père de nombreux enfants dont les mères sont Léa et Rachel, ainsi que leurs servantes, Zilpa et Bilha.

La situation devient conflictuelle, alors Jacob décide de retourner dans sa famille d’origine, en terre de Canaan. Se pose la grave question de la rencontre avec son frère Ésaü, qui a songé à le tuer peu avant son départ. Les retrouvailles seront-elles violentes ou pacifiques? Malgré tout, Jacob prend le chemin du retour avec femmes et enfants.

La paracha VayichlaH nous décrit les moments forts de la rencontre entre Jacob et Ésaü et nous montre de quelle façon Jacob est devenu Israël.

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha VayichlaH du sefer Béréchit (Genèse) 32:4 à 36:43 et la confrontation à haut risque

Difficile de vivre avec un poids sur la conscience. En particulier, quand on est convaincu de devoir régler de douloureux problèmes du passé.

Jacob est face à cette question quand il décide de revenir en terre de Canaan, prêt à affronter les risques liés à cet acte. Jacob est angoissé à l’idée de se retrouver face à Ésaü. Le moment tant redouté  va bientôt arriver.

La tactique de Jacob est de procéder par étapes successives, dans le but de garder la maîtrise des événements. La première étape est l’envoi de messagers (« malaHim ») en reconnaissance, là où se trouve Ésaü.

Béréchit 32:4. Jacob envoya des messagers [malaHim] en avant, vers Ésaü son frère, au pays de Séir, dans la campagne d’Édom.

Les « malaHim » (מַלְאָכִים), les messagers de Jacob, sont des hommes envoyés en éclaireurs ? Le mot désigne parfois également des messagers divins, des « anges ». Telle est d’ailleurs l’opinion de Rachi. L’ambiguïté du terme « malaHim » est intéressante car d’une certaine façons, les messagers humains que nous sommes transmettent également des enseignements moraux et spirituels.

Les « malaHim » rapportent à Jacob qu’Ésaü a pris les devants. Il est en route, à la rencontre de Jacob, fortement accompagné.

Béréchit 32:7. Les messagers revinrent près de Jacob, en disant: « Nous sommes arrivés vers ton frère Ésaü. Lui aussi vient à ta rencontre, et avec lui, quatre cents hommes. »

À cette information, Jacob est saisi de frayeur et prend une initiative qui est détaillée dans les versets suivants :

Béréchit 32:8 à 32:9. Alors, Jacob eut grand-peur et fut plein d’anxiété. Il divisa en deux camps ses gens, le petit bétail, les bovins et les chameaux…Se disant: « Si Ésaü attaque l’un des camps et le met en pièces, le camp restant deviendra une ressource. »

Cette division de la famille, des personnes qui l’accompagne, et des biens, peut être interprétée comme une limitation des risques. Mais elle revêt une apparence fébrile, non réfléchie et trop fataliste. Jacob est-il vraiment certain qu’Ésaü et ses hommes le mettront en pièces, lui et ses proches ?

(Ce partage en deux nous fait penser au terme « yaHats », de la Hagada de PessaH, qui désigne le moment de la brisure de la matza en deux morceaux, lors du Seder.)

Seconde étape : Jacob fait appel à ses forces morales. Il se tourne vers l’Éternel et prie en évoquant l’Alliance :

Béréchit 32:10. Puis Jacob dit « O Dieu de mon père Abraham et Dieu d’Isaac mon père! Éternel, toi qui m’as dit: ‘Retourne à ton pays et dans ta parenté et je te comblerai.’ »

Troisième étape :  les cadeaux de Jacob à Ésaü – suivons le cours des versets de la Torah.

Béréchit 32:14. Il établit là son gîte pour cette nuit et il choisit, dans ce qui se trouvait en sa possession, un don pour Ésaü son frère.

Jacob vient d’avoir l’idée d’approcher son frère par la paix en lui offrant des présents (du gros et du petit bétail). Ces présents apaiseront-ils suffisamment Ésaü ? La façon de les offrir a peut-être plus d’importance que la valeur matérielle. Jacob en a conscience. Il décide de faire parvenir immédiatement ses cadeaux à Ésaü d’une façon subtilement élaborée :

Béréchit 32:17 à 32:21. Puis il remit à chacun de ses serviteurs une part du troupeau et il leur dit: « marchez en avant et laissez un intervalle entre votre part du troupeau et la suivante. »…Il donna au premier l’ordre suivant: « lorsqu’Ésaü, mon frère, te rencontrera et te demandera: ‘à qui es-tu? où vas tu? et à qui est le bétail qui te précède?’…Tu répondras: ‘à Jacob ton serviteur, et ceci est un don envoyé par lui à mon seigneur Ésaü; et Jacob lui même nous suit.’ »…Il ordonna de même au second, de même au troisième, de même à tous ceux qui conduisaient les troupeaux, en disant: « c’est ainsi que vous parlerez à Ésaü quand vous le rencontrerez…Et vous direz: ‘voici que lui-même, ton serviteur Jacob, nous suit car il s’est dit: « je veux l’apaiser par le présent qui me devance, ensuite je verrai son visage, peut être sera-t-il bienveillant pour moi. »

La tactique de Jacob est d’envoyer les présents par vagues successives, de façon à impressionner favorablement Ésaü et le rendre de plus en plus confiant en sa volonté de paix. En même temps, Jacob prend des dispositions pour s’isoler :

Béréchit 32:22 à 32:24. Le présent défila devant lui et lui, demeura cette nuit là dans le camp…Plus tard, dans la nuit, il se leva et prit ses deux femmes, ses deux servantes et ses onze enfants et traversa le gué du Yaboc…Puis il les aida à traverser cette rivière et fit aussi traverser ce qui était à lui.

Quatrième étape : Jacob se retrouve seul, et un événement étrange se produit.

Béréchit 32:25 à 32:29. Jacob resta seul et un homme se mit à lutter avec lui jusqu’à l’aube…Voyant qu’il ne pouvait le vaincre, il lui pressa la cavité de la cuisse, et la cuisse de Jacob se démit…Il dit: « laisse moi partir, car l’aube est venue. » Jacob répondit: « je ne te laisserai pas partir avant que tu ne m’aies béni »…Il lui dit alors: « quel est ton nom? » Il répondit: « Jacob »…Alors il dit: « Jacob ne sera plus désormais ton nom, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu as vaincu. »

Ce passage énigmatique de la Torah nous interpelle. Contre qui Jacob a-t-il lutté, un ange, une représentation de son frère Ésaü, certains aspects de sa propre personnalité ou Dieu sous une apparence humaine ? La logique voudrait que l’on privilégie l’hypothèse d’un ange, messager de Dieu.

Jacob devient Israël, « celui qui a combattu avec Dieu et qui a vaincu. » Le terme « Israël » est aussi à rapprocher du terme « Yachar-el » signifiant « qui est droit avec Dieu ».

Les étapes franchies par Jacob sont-elles les étapes de la paix intérieure ?

Au-delà des étapes qu’il a dû franchir, Jacob s’est retrouvé transformé et en paix avec lui-même. L’étape fondamentale est certainement celle du travail intérieur que Jacob a été contraint d’opérer.

Revenons sur la lutte entre Jacob et « un homme ». La relation d’Alliance avec Dieu n’inclut-elle-pas une part de lutte avec nous-même et avec notre environnement ? Lutte au-delà de laquelle nous trouvons en général la paix. Par ailleurs, la lutte entre Jacob et « un homme » n’a-t-elle pas aussi inspiré nos relations avec autrui, quand la plupart des confrontations se concluent par un rapprochement, un accord pacifique ?

Ceci est à étendre à la prise en charge de nos difficultés personnelles du passé, celles qui ont encore prise sur nous, pour mieux les analyser, les résorber et ne plus les craindre.

Paracha Vayétsé : comment trouver un sens à sa vie ?

Comment trouver un sens à sa vie ? Cette question est probablement inhérente à l’être humain.

L’expression « sens de la vie » désigne l’interrogation sur l’origine, la nature et la finalité de l’existence. Le troisième point en est l’élément majeur. De nombreux courants intellectuels, philosophiques, religieux, et même scientifiques, se sont emparés du sujet pour le traiter chacun à leur manière.

Le professeur Jean Grondin (1955-), spécialiste du domaine de la pensée, en parle comme du socle de la philosophie.

Jacob, fils d’Isaac, s’est posé cette question dans une situation critique d’isolement moral, spirituel et physique. La paracha Vayétsé aborde sa quête de sens par la parabole de « l’échelle de Jacob ».

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha Vayétsé du sefer Béréchit (Genèse) 28:10 à 32:3 et l’échelle de Jacob

Dans son milieu familier, Jacob est un homme simple, se contentant de peu, ayant une vision idéaliste du monde et prenant plaisir à rester paisiblement proche des siens. Les relations avec son frère Ésaü sont conflictuelles. À un moment donné, Ésaü prend la décision de le tuer. Alerté par sa mère, Rébecca, et suivant ses vifs conseils, Jacob décide de quitter le foyer.

De la sorte, Jacob voit son univers familier s’écrouler. Il doit partir vivre loin. Sa mère, Rébecca, ne sera plus là pour le protéger. Le sens de sa vie est totalement bouleversé. Jacob quitte Béer-Shéva pour Haran. Il marche et se retrouve dans le désert. Le soir venu, il s’arrête pour dormir à même le sol.

Béréchit 28:10 à 28:11. Jacob sortit de Béer-Shéva et alla vers Haran…Par la suite, il arriva dans un endroit où il se posa pour passer la nuit car le soleil s’était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, la mit en support de sa tête, et se coucha en ce lieu.

[A noter, dans le texte hébreu, une succession de lettres « vav » (ו) signifiant « et » en français. Ce qui traduit un enchaînement hâtif d’actions. Vayétsé (וַיֵּצֵא) = il sortit, vayéleH (וַיֵּלֶךְ) = il alla, vayalen (וַיָּלֶן) = il se posa, vayikaH (וַיִּקַּח) = il prit…etc.]

Donc Jacob fait une pause, s’allonge, s’endort et rêve :

Béréchit 28:12 à 28:13. Alors il fit ce rêve: une échelle se trouvait placée sur la terre, son sommet atteignait les cieux, et des anges, messagers de Dieu, montaient et descendaient le long de cette échelle…Et voici que l’Éternel apparut au-dessus d’elle et dit: « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham ton père et d’Isaac; cette terre sur laquelle tu es couché, je vais te la donner à toi et à ta postérité. »

Cette échelle ancrée en terre et allant jusqu’aux cieux est l’image de notre capacité à nous élever, étape après étape. En d’autres termes, elle est l’image de la progression de notre conscience, du plus bas au plus haut et du plus près au plus loin.

« L’échelle de Jacob » représente un développement et une montée spirituelle par échelons. Ainsi, une prière s’élève de la terre vers le ciel, sachant que le but à atteindre est Dieu qui se tient au-dessus de l’échelle.

La pause nocturne de Jacob dans son parcours, est considéré comme l’événement fondateur de la prière du soir, la prière d’Arvit.

Par ailleurs, cette échelle inspire le fond et la forme des offices. Prenons l’exemple de celui du matin. Ce sont d’abord les bénédictions, actes de reconnaissance les plus concrets, puis les pesouké dé-zimra (versets du chant) qui sont une reprise de contact avec le monde extérieur, puis le Chema Israël qui nous rappelle notre rôle dans le monde, et ensuite la Amida, la prière la plus proche des cieux, par laquelle le sens de notre vie est abordé.

Le jour venu, Jacob se réveille en ayant encore son rêve en tête. Il est alors saisi de stupeur, d’effroi, et prend conscience de l’objet de son rêve et de la sacralité du lieu. Il demande la protection divine et demande à Dieu de s’inscrire dans l’alliance. Jacob apprivoise une nouvelle façon de donner un sens à sa vie, qui continuera d’évoluer lors des prochaines étapes.

Béréchit 28: 16 à 28: 17. Jacob se réveilla et s’écria: « en vérité, l’Éternel est en ce lieu et moi je l’ignorais »…Et, saisi de crainte, il ajouta: « Que ce lieu est redoutable! Ce n’est rien d’autre que la maison de Dieu et c’est ici la porte des cieux. »

Cela nous fait penser à l’une des bénédictions du matin.  Nous louons l’Éternel car : « il réveille ceux qui sont somnolents ».

Le rêve de Jacob est révélateur de l’importance de l’interprétation des événements, quelquefois mineurs comme de simples rêves, sur le sens de notre vie. Citons le Talmud BraHot, p.45. Rabbi Ben Aha déclare qu’il a fait un rêve et qu’il a consulté 24 interprétes de rêves à Jérusalem. D’après le Talmud, ces derniers lui ont donné 24 interprétations différentes de son rêve qui se sont toutes réalisées. Rabbi Ben Aha en a tiré cette formule proverbiale : « tous les rêves suivent la bouche », c’est à dire qu’ils suivent l’interprétation qu’on leur donne.

Faire une longue pause pour réfléchir au sens de notre vie

L’exemple de Jacob est-il à suivre totalement ? Devons-nous nécessairement changer le cadre de notre existence pour nous interroger sur le sens de notre vie, pour le faire évoluer, ou tout simplement pour le découvrir ? Ce n’est pas certain.

Retenons d’abord que Jacob a découvert le véritable sens de sa vie en interrompant ses activités, en faisant une longue pause. La démarche de Jacob a été involontaire. Elle a abouti au travers d’un rêve nocturne, mais elle a quand même abouti. Trouver le sens de sa vie, c’est d’abord s’interroger à ce sujet et prendre le temps de réfléchir.

Revenons au point de départ. Que signifie vraiment « le sens d’une vie » ? Le sens de notre vie nous est-il imposé, ou est-ce à nous de le concevoir ? Quelle sont nos parts de liberté et de soumission dans la nature du sens de notre vie ? Vaste question psychique.

Les thèses les plus récentes sont orientées vers la prise de responsabilité du sens de la vie. Référons-nous au professeur de neurologie et de psychiatrie Victor Frankl (1905 – 1997), créateur de la logothérapie.

Victor Frankl, rescapé de la shoah, a constaté avec étonnement, lors de son internement à Auschwitz, que les plus robustes, ceux qui étaient le plus dans l’action, étaient les premiers à mourir, tandis que ceux qui paraissaient les plus faibles résistaient beaucoup plus longtemps. Face à l’insensé, les plus fragiles avaient développé une vie intérieure qui laissait une grande place à l’espoir et au sens.

Ce constat a été le point de départ de l’élaboration de la logothérapie. Celle-ci postule que tout être humain est doté d’une motivation primaire, l’orientant d’instinct vers le sens de sa vie. Comme pour d’autres thérapies centrées sur la personne, c’est au patient/client de découvrir le sens de sa vie. Le thérapeute soutient ce processus en lui proposant différents outils.

Que penserait Jacob, aujourd’hui, de la logothérapie ? Nous-même, aujourd’hui, comme Jacob hier, utilisons les événements de nos vies et les outils d’analyse qui sont à notre disposition pour chercher toujours mieux le sens de notre existence.

Paracha Toledot : fratritude ou fraternité ?

Le terme « fraternité » nous est familier, le terme « fratritude » nous l’est beaucoup moins. La « fratritude » est un concept élaboré depuis peu par le Docteur Philippe Caillé, spécialiste en thérapie systémique.

La « fratritude » est simplement le fait d’appartenir biologiquement à une fratrie, de façon naturelle, non voulue et indépendante du comportement. Le terme « fratritude » est du même type que le terme « négritude » d’Aimé Césaire.

Le terme « fraternité » a un sens très différent. C’est le fait de développer volontairement, dans un groupe humain, un comportement de bienveillance, de solidarité, de cohésion dans le respect de l’individualité, en attachant peu d’importance aux liens de parenté.

À nous, maintenant, de faire la jonction avec la paracha Toledot dont le cœur du sujet repose sur les relations fraternelles complexes entre Ésaü et Jacob, fils jumeaux d’Isaac et de Rébecca.

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La paracha Toledot du sefer Béréchit (Genèse) 25:19 à 28:9 et les tourments de Rébecca

« Toledot » (תּוֹלְדֹת) qui signifie « l’histoire » a la même racine que « naissance » et « enfant » (ילד).

Comment naissons-nous en tant qu’individu, en tant que groupe humain et en tant que peuple ? La paracha Toledot aborde le principe de naissance. C’est la naissance de la troisième génération : Jacob et Ésaü, les deux enfants d’Isaac et Rébecca qui ont succédé à Abraham et Sarah. Toledot est la tentative de naissance d’un peuple à travers cette troisième génération.

Jacob et Ésaü vont-ils être les bâtisseurs d’un peuple uni, ou bien la division l’emportera-t-elle, comme cela s’est passé au cours des générations précédentes? Entre Jacob et Ésaü, la fratritude cédera-t-elle la place à la fraternité ?

Béréchit 25:21 à 25:23. Isaac implora l’Éternel au sujet de sa femme parce qu’elle était stérile. L’Éternel accueillit sa prière et Rébecca, sa femme, devint enceinte…Comme les enfants commençaient à lutter entre eux dans son ventre, elle dit « s’il en est ainsi, à quoi suis-je destinée! » La-dessus elle alla interroger l’Éternel…L’Éternel lui dit: « deux nations sont dans ton ventre et deux peuples sortiront de tes entrailles; un peuple sera plus puissant que l’autre et l’aîné servira le cadet. » 

Interprétons les versets précédents. Rébecca est enceinte de deux jumeaux, mais elle ne le sait pas encore. La vie s’agite fortement dans son ventre et elle cherche à en connaître la raison. En prenant le contresens de l’allégorie, nous pouvons dire que différentes identités, différentes personnalités se heurtent en son sein. Rébecca se sent perdue et demande à l’Éternel de l’éclairer. En se référant à la naissance de deux peuples, Dieu lui annonce la naissance de jumeaux.

En effet, deux enfants naissent.

Béréchit 25:24 à 25:26. L’époque de sa délivrance arrivée, il se trouva qu’elle portait des jumeaux…Le premier qui sortit était entièrement roux et tout son corps était pareil à une pelisse; on lui donna donc le nom d’Ésaü…Ensuite naquit son frère tenant de la main le talon d’Ésaü et on le nomma donc Jacob. Et Isaac avait soixante ans lors de leur naissance.

Les jumeaux sont et resteront très différents, à l’image de deux polarités de signe opposé. À la naissance, Ésaü est roux et très velu, alors que Jacob est glabre. Le temps passe. Ésaü devient un homme des champs aventureux, aimant la chasse. Jacob, lui, devient un homme simple, raisonnable, prenant plaisir à rester sous la tente. Ainsi, les personnalités d’Ésaü et de Jacob évoluent pour un temps dans la divergence. Il se fait qu’Isaac préfère Ésaü, alors que Rébecca préfère Jacob, pour des raisons à développer dans un autre commentaire de paracha.

Les mystères de la personnalité humaine

Dans la paracha Toledot, le thème de deux personnalités distinctes qui se heurtent tout en étant susceptibles de se compléter, est omniprésent. Ne serait-ce pas une représentation des divers aspects de la personnalité d’un seul individu ? Les deux jumeaux se confrontent dans le ventre de Rébecca et se retrouvent plus tard, comme les composantes d’une seule personnalité qui s’opposent dans un premier temps, puis se rejoignent.

L’ouvrage « Psychanalyse des contes de fées » (1976), du psychologue américain Bruno Bettelheim, apporte son concours à la compréhension de notre paracha. Il évoque dans le « thème des deux frères », une fratrie composée de deux frères que tout oppose mais qui sont obligés de s’adapter l’un à l’autre. L’un d’eux représente la tendance à rester fidèle à la famille, à être casanier, comme l’était Jacob, alors que l’autre représente la tendance à revendiquer rapidement l’indépendance pour partir à l’aventure, tout comme Ésaü. Bettelheim invite à considérer ces deux frères, qui doivent vivre ensemble, comme les deux aspects différents d’une même personnalité. Ces deux aspects opposés, besoin de rester attaché à un passé rassurant et désir d’aller vers un avenir incertain, résident en chacun d’entre nous en proportion variable. Il nous est impossible de trouver notre équilibre mental si l’un d’eux vient à manquer totalement.

Revenons à la paracha. Les choses ont évolué. Jacob cherche à acquérir les éléments nécessaires à l’entièreté de sa personnalité, mais aussi à sauver sa vie. Après que son frère ait envisagé de le tuer, il quitte les tentes, à la demande de Rébecca, et part pour longtemps en direction de la ville de Haran. Ésaü, quant à lui, se sent mal aimé et s’unit à une épouse supplémentaire, davantage en rapport avec les vœux de ses parents. Jacob et Esaü vont ainsi, sans en être vraiment conscients, à la rencontre de leur équilibre psychologique. Jacob, en quittant la tente, Esaü en se mariant, en fondant un nouveau foyer plus proche de la pensée de la famille dont il est issu.

De ce qui précède nous déduisons que pour nous sentir intérieurement bien, nous devons demeurer entier, au sens de l’acceptation des différentes parts de notre personnalité.

Cela jouera sur nos relations avec autrui. Celles-ci seront plus transparentes, plus justes, plus fraternelles. De la sorte, nous accéderons à une meilleure compréhension des problèmes qui ne sont pas les nôtres. Alors, oublions la fratritude et prenons le chemin de la fraternité. Nous n’en tirerons que satisfaction et profit sur le plan moral.

Paracha Hayé Sarah : combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ?

Pendant encore combien de temps allons-nous sacrifier nos enfants ? Tout au long de l’histoire, de jeunes personnes, au plus fort de leurs capacités physiques et morales, sont parties combattre et se sacrifier pour leurs aînés, leurs clans ou leurs nations.

Le sacrifice d’Isaac est d’un tout autre type, mais il nous conduit quand même à nous poser cette question sur un plan général.

Isaac n’est pas mort, mais sa mère Sarah est littéralement morte d’angoisse à l’idée de le perdre. Pourquoi « Dieu » aurait-il permis une telle chose?

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La paracha Hayé Sarah du sefer Béréchit (Genèse) 23:1 à 25:18 et les vies de Sarah

Béréchit 23:1 à 23:2. Et la vie de Sarah fut de cent vingt-sept années; telle fut la durée des années de la vie de Sarah…Sarah mourut à Kiriath-Arba, c’est à dire à Hébron, dans le pays de Canaan. Abraham y vint pour se lamenter sur Sarah et la pleurer.

Le midrach raconte que Sarah est morte suite au départ d’Abraham et d’Isaac. Sarah mourut avant Abraham. Elle fut admirable et irréprochable pendant toute une vie au parcours éprouvant : le départ de Haran pour une terre inconnue, l’enlèvement par Pharaon puis par AbiméleH, et pire encore, le départ d’Isaac.

Le départ d’Isaac avec son père, sur ordre de « Dieu » est un épisode délicat et très discuté. Il s’agit d’un très beau passage (encore plus en hébreu) qui souligne la proximité entre le père et le fils, et leurs questionnements concernant la nature de leur voyage. Selon la tradition juive, ce voyage fut une épreuve, sans aucune intention de réellement sacrifier Isaac. La nature de cette épreuve est discutée: « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était bien prêt à tout lui sacrifier? Ou au contraire, « Dieu » voulait-il vérifier qu’Abraham était justement prêt à renoncer aux sacrifices humains fréquents à cette époque? Toujours est-il que cette épreuve subie conjointement par Abraham et Isaac a été vécue par Sarah dans la solitude. Son inquiétude fut telle que Sarah ne pût résister à l’angoisse qui la submergeât et qu’elle mourût.

Revenons à la destinée de Sarah. « Hayé Sarah » (חַיֵּי שָׂרָה), « la vie de Sarah », ou plutôt « les vies de Sarah », comme si Sarah avait eu plusieurs vies. Le mot « chana » (שָׁנָה), « année », est repris plusieurs fois, car dans la tradition juive le caractère sacré de la vie correspond au sacré de chacun de nos instants de vie, de chacune de nos années de vie.

La vie de Sarah fut parfaite. Sarah vécut 127 ans. « Les 3 vies » de Sarah furent de 100 ans, 20 ans et 7 ans. Cette façon de voir les choses signifie que Sarah fut admirable et irréprochable à 7 ans, à 20 ans, comme à 100 ans malgré ce qu’elle endurât. Sarah fut très belle aussi; ce qui provoqua quelques déboires lors de ses voyages avec Abraham, aussi belle à 100 ans qu’à 20 ans et à 7 ans.

Toujours d’après Rachi, l’expression « chné Hayé Sarah » (שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה), « les années de la vie de Sarah » est à souligner, car absolument toutes les années de la vie de Sarah sont à prendre en considération. Chacune de ces années fut imprégnée de sa bonté, de sa sagesse, de son aura.

Sarah fut la première des matriarches et patriarches à être inhumée à Hébron anciennement appelée Kiriath-Arba,  » la colline des quatre ». Effectivement, 4 couples fondateurs y sont enterrés : Adam et Ève (d’après la tradition), Abraham et Sarah, Isaac et Rébecca, Jacob et Léa.

L’année dernière, tout près d’Hébron, le Rabbin Arik Ascherman de l’association « Les Rabbins pour les droits de l’homme » a été attaqué au couteau alors qu’il défendait le droit des arabes palestiniens à la culture des oliviers. Hébron est actuellement un foyer de haine (comparable à la mésaventure de Caïn et Abel) où la coexistence est devenue extrêmement difficile.

La ville d’Hébron est âgée d’environ 4000 ans (période du bronze ancien). Hébron a été détruite une première fois il y a 3500 ans lors d’une invasion égyptienne, puis a été reconstruite, puis redétruite, puis reconstruite. Les Juifs en ont été chassés ou ont été tués. Des pogroms ont eu lieu en 1517, 1834, 1929…contre les Juifs qui sont quand même revenus. Malheureusement, en 1994 c’est un Juif, Baruch Goldstein, qui a tué 29 arabes palestiniens dans le Tombeau des Patriarches.

Aujourd’hui, Hébron est très loin d’être le lieu de paix dédié à Sarah. Cependant, il est important de mentionner qu’un Sage chrétien du 5° siècle disait qu’Hébron était, à cette époque, un lieu de fêtes estivales annuelles où se retrouvaient dans la joie, chrétiens, juifs et païens (l’Islam n’existait pas encore). Hébron garde son potentiel d’union, et le retrouvera peut-être un jour.

Rappelons-nous un passage de la Genèse qui cite l’Éternel [parlant à Abraham, le mari de Sarah] : « …et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre ». Rappelons-nous aussi, que selon le Midrach, Sarah a allaité tous les petits enfants présents au banquet donné en l’honneur d’Isaac, en signe de partage. À travers ces faits, mettons en avant les initiatives de paix de la population de l’état d’Israël. Des associations s’activent en ce sens : « Les Rabbins pour les droits de l’homme », « Les enfants pour la paix », etc… Mettre en avant les initiatives pacifistes, c’est leur donner plus de poids.

Évoquer Sarah nous fait songer à un monde sans violence

Le nom de l’association « Les enfants pour la paix » est très significatif. La meilleure façon d’épargner, de soutenir les enfants, de les inciter à rester en paix, qu’ils soient israéliens, palestiniens, de n’importe qu’elle religion ou nationalité, est de les faire se rencontrer et de leur confier la responsabilité de leur avenir. Ainsi, par eux-mêmes, ils deviendront tolérants, s’apprécieront, et seront heureux de construire ensemble un monde sans violence.

L’expression Hayé Sarah, « les vies de Sarah » au pluriel, symbolise notre capacité d’évolution vers un monde de paix en nous investissant, comme elle, dans cette direction, chaque minute, chaque journée, chaque année de notre vie.

Le Tombeau des Patriarches, où se trouve Sarah, peut encore être visité. Il matérialise le devoir de mémoire nécessaire à une projection vers un futur de paix. Un futur de paix où le sacrifice de nos enfants n’aura plus aucun sens.

Paracha Vayéra : es-tu le gardien de ta femme ?

Les personnes vivant en couple sont liées par une communauté de destin; ce qui implique un engagement consenti d’entraide et de solidarité entre elles.

Cet engagement ne doit pas se faire au détriment de la liberté individuelle compatible avec la vie de couple. D’autre part, il ne doit pas se pratiquer dans l’hypocrisie. L’entraide est une forme de générosité désintéressée qui respecte l’épanouissement des membres du couple.

La paracha Vayéra aborde le principe d’entraide et de solidarité dans le couple en nous dévoilant certains points des relations qu’entretiennent Abraham et Sarah. Les époux, comme les frères et sœurs, sont un peu responsables les uns des autres. Nous disons « tout Israël est garant l’un de l’autre ». Caïn a nié cette solidarité en tuant son frère, et en interpelant « Dieu »: « Suis-je la gardien de mon frère? ». Qu’en est-il dans notre paracha?  Abraham a-t-il été le gardien de sa femme, Sarah ?

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La paracha Vayéra du sefer Béréchit (Genèse) 18:1 à 22:24 et le couple Abraham-Sarah

Le couple Abraham-Sarah (qui, en début de paracha précédente, se nommait Abram-Saraï) doit retenir toute notre attention. Ce couple, par ses relations insolites, est un sujet de réflexion important sur la vie à deux.

Deux éléments de la vie de couple d’Abraham et de Sarah sont à relever.

~Premier élément : Abraham demande à Sarah de le protéger dans les situations périlleuses, pour cela, il faut qu’elle se présente comme sa sœur et non comme son épouse (ce qui est en partie vrai : Abraham et Sarah sont de même père, mais de mères différentes. Béréchit chap 20, verset 12).

Ce fut une première fois en Égypte (Paracha LèH LéHa), quand Abram prit conscience que Saraï était belle et attirante, et qu’il risquait d’être tué lors d’un éventuel rapt de Saraï.

Béréchit 12:11 à 12:13. Quand il fut sur le point d’arriver en Égypte, il dit à Saraï son épouse: « Certes, je sais que tu es une femme belle d’apparence…Il arrivera que lorsque les Égyptiens te verront, ils diront ‘c’est sa femme’, et ils me tueront, et ils te conserveront en vie…Dis, je te prie, que tu es ma sœur; et cela ira bien pour moi à cause de toi, car j’aurai grâce à toi la vie sauve. »

Ceci ce reproduit dans la paracha Vayéra avec AbiméleH, roi philistin de Guérar où Abraham souhaite résider.

Béréchit 20:1 à 20:2. Abraham quitta ce lieu pour le pays du Néguev; il s’établit entre Cadès et Chour et séjourna comme étranger à Guérar…Abraham disait de Sarah, sa femme, « Elle est ma sœur ». Là-dessus AbiméleH, roi de Guérar, envoya prendre Sarah.

Ici la solidarité s’exerce de façon surprenante, contraire à la logique et à la bienveillance. L’épouse se charge de protéger un mari qui ne se consacre pas vraiment à sa protection. En conséquence, Dieu intervient pour protéger lui-même Sarah. Et en acceptant de protéger Abraham, Sarah obtient la bénédiction divine sans l’avoir recherchée.

~Deuxième élément : Sarah se comporte de façon très discrète et effacée. Elle ne veut absolument pas se mettre en avant. Dans les versets suivants « Dieu » interpelle Abraham puis Sarah, par l’intermédiaire de 3 anges d’apparence humaine, pour annoncer qu’un fils naîtra prochainement de leur couple.

Béréchit 18:9 à 18:15. Ils lui dirent: « Où est Sarah, ta femme? » Il répondit: « Elle est ici, dans la tente »…L’un d’eux reprit: « Je reviendrai à toi l’année prochaine, à pareille époque et voici, un fils sera né à Sarah, ton épouse ». Or, Sarah écoutait à l’entrée de la tente qui se trouvait derrière lui…Mais, Abraham et Sarah étaient vieux, avancés en âge et les règles avaient cessé pour Sarah…Aussi, Sarah se mit-elle à rire en elle-même en disant: « Flétrie par l’âge, ce bonheur me serait-il réellement possible? D’ailleurs, mon époux est un vieillard. »..Alors, l’Éternel dit à Abraham: « Pourquoi Sarah a-t-elle ri en disant: est-ce-que vraiment j’enfanterai, âgée que je suis?..Est-il rien d’impossible à Dieu? Au temps fixé, à pareille époque, je te visiterai et Sarah aura un fils »…Mais Sarah se mit à nier en disant: « Je n’ai pas ri ». Elle avait peur. L’Éternel répondit à Sarah: « Mais si ! tu as bel et bien ri. »

Tout au long de ces versets, Sarah reste en arrière. Il lui semble naturel qu’Abraham, son époux, soit l’interlocuteur direct des anges envoyés par Dieu. Sarah fait preuve d’abnégation et d’humilité. Son rire discret n’est pas ironique, il traduit simplement sa surprise. De cette façon, Sarah manifeste aussi la négation de ses sentiments. Elle rit car elle a du mal à réaliser que l’Éternel puisse s’intéresser autant à elle. Cela lui semble inconcevable. Afin de dissiper le doute dans son esprit et l’encourager à s’affirmer, l’Éternel décide de s’adresser directement à elle. Sarah devient alors une personnalité du peuple hébreu à part entière.

En relatant ces faits, la Torah nous montre que l’entraide et la solidarité dans le couple ne sont pas univoques. Dans certains cas, il est tout à fait normal que la femme aide l’homme. Ce qui est conforme à la définition du terme « solidarité; » la solidarité impliquant l’interdépendance. Par ailleurs, la Torah aborde la libre expression des sentiments féminins en nous révélant une relation directe entre Dieu et Sarah en rapport avec ses pensées et ses sentiments. L’échange direct entre Dieu et Sarah sera mené à bonne fin, puisqu’un an plus tard, Isaac naîtra. Il aura donc également des répercussions positives sur la vie de couple et sur la vie familiale de nos ancêtres.

Béréchit 21:1 à 21:3. Et l’Éternel pensa à Sarah comme il l’avait dit et fit à Sarah ainsi qu’il l’avait annoncé…Sarah conçut et enfanta un fils à Abraham en sa vieillesse, au temps fixé dont Dieu lui avait parlé…Abraham nomma Isaac le fils qui venait de naître, que Sarah lui avait donné.

Interprétons bien le verset qui va suivre. Ce verset est l’expression directe des sentiments d’une femme, Sarah. Ce qui est rare dans la Torah.

Béréchit 21:6. Alors Sarah dit: « Dieu m’a préparé du rire et quiconque l’apprendra rira de moi. »

La maternité de Sarah, à un âge tardif, est un entremêlement de bonheur et de complexité. Sarah doit se montrer capable de prendre en charge son nouveau-né, en particulier de l’allaiter.

Béréchit 21:7. Elle dit encore « Qui aurait dit à Abraham que Sarah allaiterait véritablement des enfants, vu que je lui ai donné un fils en sa vieillesse? »

Sarah prend sa revanche sur la rumeur publique à double titre. Le Talmud Baba Metsia attire notre attention sur le mot « banim/enfants » (בָנִים) qui est un mot pluriel. L’explication de ce pluriel est la suivante : au cours du banquet donné en l’honneur d’Isaac, l’Éternel a produit l’irrationnel en faveur de Sarah. Toutes les mères présentes se sont soudainement trouvées incapables d’allaiter. Sarah, après sa longue incapacité en ce sens, a eu la grande joie de devoir se substituer à elles. Sarah a alors donné généreusement le sein à tous les bébés présents, des nourrissons aux enfants de 3 ans. Sarah a ainsi rayonné, aux yeux de tous, dans l’accomplissement de sa maternité.

Pour conclure : l’homme doit-il vraiment être le gardien de sa femme ?

En ce qui concerne le couple Abraham-Sarah, Abraham ne s’est pas comporté en gardien de sa femme. L’Éternel s’est substitué directement à lui en faisant de Sarah un personnage de premier plan, en élevant Sarah au statut de princesse et de matriarche du peuple hébreu.

Qu’en est-il aujourd’hui de nos relations de couple ? L’égalité et la solidarité homme/femme ont été instaurées dans notre société. L’homme et la femme, en fonction de leurs moyens, sont devenus réciproquement les gardiens l’un de l’autre, matériellement et moralement. Malheureusement, ce n’est pas le cas dans le monde entier. N’est-ce-pas une injustice à résoudre ?

Paracha LèH LéHa : les voyages forment la Genèse !

Quelques mots à propos d’Abraham, le patriarche, qui se nommait alors Abram.

Il y a environ 3900 ans (datation soumise à discussion), Térah (תרח), descendant de Sem et père d’Abram (qui ne se nomme pas encore Abraham), regroupa sa famille et ses proches, dans la ville d’Ur en Chaldée (Mésopotamie). Puis l’ensemble du groupe prit la route pour des raisons non précisées, et s’établit à Haran, ville araméenne, où Térah mourut. Alors, Dieu se manifesta et demanda à Abram de conduire le groupe d’hébreux au pays qu’il lui avait choisi, la terre de Canaan.  Contrairement à l’idée reçue, Térah était donc l’initiateur du voyage familiale, interrompu en chemin.

La lecture de la paracha LèH LéHa qui conte cet épisode, nous conduit à évoquer les multiples voyages des hébreux ainsi que ceux, plus récents, du peuple juif; et à nous interroger aussi, sur l’expression « Juif errant ».

Pour approfondir ce thème, une petite vidéo et un article qui la commente, sur la paracha de la semaine !

La paracha LèH LéHa du sefer Béréchit (Genèse) 12:1 à 17:27 et la mission confiée à Abram

Parfois nous avons besoin d’une impulsion, d’un élan pour nous décider à bouger, prendre des risques, nous investir dans un projet, affronter l’inconnu. Le nom de notre paracha, LèH LéHa, qui signifie « Va par toi-même » correspond au nom  que l’on pourrait donner en hébreu à cette impulsion.

Effectivement, l’Éternel s’adresse à Abram pour l’informer de sa mission et lui donner l’élan nécessaire à son accomplissement.

Béréchit 12:1. « Alors l’Éternel dit à Abram: « Va-t’en par toi-même de ton pays, de ton lieu de naissance et de la maison de ton père, vers la terre que je t’indiquerai . »

Dans ce type de situation, être soutenu a beaucoup d’importance. Ici, Abram a le privilège d’avoir la confiance et le soutien de Dieu pour se lancer.

Béréchit 12:2. « Je ferai de toi un grand peuple, et je te bénirai, et j’agrandirai ton nom, et tu seras une marque de bénédiction. »

Selon Rachi, le verset précédent est très parlant. Quiconque s’investit dans une mission difficile ou s’en va affronter l’inconnu prend des risques : ne pouvoir créer une famille avec une nombreuse progéniture, avoir des nécessités matérielles ou financières, se retrouver dans l’anonymat. À nous de bien connaître ces risques en de telles circonstances.

L’entreprise audacieuse d’Abram et Saraï, qui sont devenus Abraham et Sarah, est un événement à mettre en parallèle avec les risques pris par le peuple Juif tout au long de son histoire.

Le thème de la paracha est l’occasion de commenter l’expression « Juif errant ». Certains ont en eux une image déformée du peuple juif. Ils se le représentent comme un être égaré sur terre, ne sachant où aller, sans racine, se sentant partout en exil. C’est très loin de la vérité. En fait, cette expression fait référence à Caïn dans la Bible. Après qu’il eut tué son frère Abel, Dieu lui avait dit : «  Et bien, tu es maudit à cause de cette terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère… Lorsque tu cultiveras le sol, il cessera de t’offrir sa fécondité et tu seras errant et fugitif sur la Terre. »

Ainsi, ceux qui font l’amalgame, tentent d’associer les juifs à Caïn le meurtrier et non à Abraham le « passeur ». Cette vision est héritée d’une pensée heureusement remise en cause par le concile Vatican II. Certains d’entre nous ont encore le souvenir de cette époque.

De nombreux personnages bibliques ont suivi la voie ouverte par Abraham, fondateur du monothéisme. Ils sont surtout mentionnés dans les pages de la Genèse (Béréchit) et de l’Exode (Chemot). Parmi ceux qui ont suivi ce type de parcours, citons Rebecca, Jacob, Joseph et bien-sûr Moïse avec l’ensemble des enfants d’Israël. Nous pouvons mentionner également l’exil de Babylone et la dispersion des Juifs au cours de l’occupation Romaine.

L’apport des voyages aux enfants d’Israël

Le terme d’errance a une connotation morale, comme si les juifs avaient « perdu la boussole ». Certes les juifs ont été déportés et déplacés ou chassés de nombreuses fois, et ils ont également parfois choisi de voyager. Mais associer ces déplacements à un manque de qualités humaines n’est pas juste. A travers ces voyages, le peuple Juif est volontairement allé au contact des autres peuples. Il s’est enrichi culturellement, technologiquement et spirituellement de tous ses déplacements, de tous ses rapprochements avec les autres populations. Ces rapprochements  n’ont en rien altéré l’identité juive. Au contraire, ils l’ont enrichie au plus profond d’elle-même. L’identité juive en est devenue plus forte, plus sage, plus tolérante.

Pour faire le lien avec Abraham, citons un autre verset de la paracha le concernant :

Béréchit 12:3. « Je bénirai ceux qui te béniront, et ceux qui t’outrageront, je les maudirai; et par toi seront bénies toutes les familles de la Terre. »

En 1999, Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions, a écrit un livre intitulé « Le pèlerin et le converti ». Cet auteur a beaucoup travaillé sur les problèmes de transmission, de conversion et de formation des identités religieuses. Elle suggère que nous entreprenions un voyage au fond de notre propre identité et que nous allions vers l’autre afin d’accéder à un enrichissement spirituel mutuel. Une autre forme de voyage.

Apprenons à tirer parti de tout type de voyage. Songeons souvent à celui d’Abram et Saraï.